Quand les attitudes deviennent formes, par Lukas Hoffmann, photographe

©Lukas Hoffmann

Se présentant sous couverture mauve byzantin, Strassenbilder est une série majeure – succès aux Rencontres d’Arles en 2022 – du photographe suisse Lukas Hoffmann, dont les éditions Atelier EXB présentent un corpus de vingt-sept images sur un ensemble de plus de cinq cents.

Le format album, correspondant à celui du négatif grand format avec lequel travaille l’artiste, permet une lecture immersive, donnant l’impression au spectateur de participer à la foule dans laquelle se situe l’opérateur utilisant une chambre 13×18, tenue, à hauteur de hanche ou de poitrine, à 80 cm de la personne photographiée.  

Les images de Strassenbilder mettent ainsi en jeu la notion de proxémie telle que forgée par l’anthropologue américain Edward T. Hall, soit la distance vis-à-vis de l’autre qu’autorise une culture spécifique.

©Lukas Hoffmann

Réalisées l’été, à Berlin où réside Lukas Hoffmann, entre 2018 et 2021, les images en noir et blanc de cette série révèlent à la fois un code civilisationnel, tout en montrant avec précision la texture d’un vêtement et ses plis, les motifs d’une robe, la finesse d’une chevelure, la grâce de gestes involontaires, des attitudes sensuelles.

Les corps sont souvent acéphales, Strassenbilder n’est pas une galerie de portraits – se distinguant en cela de la démarche de Beat Streuli et de Philip Lorca diCorsia -, mais une mosaïque de formes et de peaux, textiles ou non, s’élaborant aux lisières de l’abstraction.

Le regard topographique de Lukas Hoffmann saisit des agencements, des organisations formelles, le graphisme de l’existence dans le flux de la vie.  

©Lukas Hoffmann

On songe au Pickpocket de Robert Bresson, à l’art du geste de dérobade, à l’œil aiguisé, quoique délégué ici au hasard d’un appareil de vision employé sans trépied.

On ne se parle pas, mais tout communique, le duvet des poils avec le vent et la lumière, les fils, les coutures, les ombres, les grains de beauté, les transparences.

Les images sont anti-spectaculaires et pourtant intensément évocatrices de ce qui nous échappe alors même que nous croyons la plupart du temps maîtriser à peu près les coordonnées de nos parcours.

J’écrivais le 20 novembre 2019, à propos du livre Untitled Overgrowth (Spector Books, Leipzig) : « Lukas Hoffmann est un photographe que passionnent les notions de territoire, de frontière, d’ensauvagement et de métamorphose. (…) La logistique est la grande affaire des vivants qui parlent, constituant pourtant, dans le miracle des agencements quotidiens, un impensé majeur. Tout est construit, bâti, réfléchi, mais paradoxalement l’essentiel échappe, qui est la concordance des flux de vie, le génie de ce qui naturellement se dispose parfaitement dans l’espace. »

Je signe de nouveau.

Lukas Hoffmann, Strassenbilder, texte (français, anglais, allemand) Anne Bertrand, conception graphique Benedikt Reichenbach, édition Nathalie Chapuis assistée de Camille Cibot, fabrication Charlotte Desbiolles, François Santerre, Atelier EXB, 2023, 80 pages

https://www.lukashoffmann.net/

https://exb.fr/en/home/610-strassenbilder.html

©Lukas Hoffmann

Lukas Hoffmann est représenté en France et en Suisse par la Galerie C, et la galerie Annex14 à Zurich

Certaines images de Strassenbilder sont actuellement présentées dans l’exposition Corps à corps. Histoire(s) de la photographie au Centre Pompidou à Paris (octobre 2023-mars 2024)

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