
©Juan Sanchez
Le monde est une vallée de larmes, tout tremble, fuit, meurt, se disperse.
Rien ne reste attaché.
Pourtant, certains lieux, certains êtres semblent plantés dans leur vie et le paysage depuis toujours.
En composant Panadella, Juan Sanchez s’est employé à montrer un territoire de frontière où les personnes qu’il photographie paraissent errer dans quelques limbes éternels.
Voici leur lieu, ils n’en sortiront pas de si tôt, la solitude est leur compagne.

©Juan Sanchez
Enclave rurale située au faîte d’une colline, à plus de sept cents mètres d’altitude, à mi-chemin entre Barcelone et Lleida, la Panadella est une voie de passage vers le plateau de La Meseta, vers la France, vers la côte.
Dieu n’est pas absent, mais il est discret, un peu froid, assez effrayant dans son mutisme sévère.
Ne pas se tenir debout serait s’effondrer, il faut s’accrocher, aux phares dans la nuit, au bout de table élimé, à la médaille d’une vierge de couleur.
Alternant portraits pleine page, natures mortes urbaines et détails symboliques, Panadella construit un cosmos de puissances fragiles.

Il est l’heure de dîner, ou de tenter une nouvelle traversée, mais la glace a saisi le parebrise, il va falloir attendre, sûrement longtemps.
Les édifices ne se dressent pas sans quelque majesté, qui sont peut-être les deniers refuges de la mélancolie en des hauteurs balayées par le vent.
Il y a des bris de briques, des craquements sourds, des herbes gelées, des brumes, de la rouille.
Des amants se sont donnés rendez-vous, ils se cherchent encore, un mur les sépare.
On pourrait être sur la lune, à l’instant du débarquement des premiers hommes, hier c’est aujourd’hui, et demain sera un manteau de poussières.
Les photographies de l’artiste espagnol sont entourées de blanc, le vide est là, comme un tapis de neige sur une tombe.
Comme un soulagement.
Comme la respiration de l’univers.

©Juan Sanchez
Ce n’est pas mal la Panadella pour continuer ou terminer ses jours, loin des égos des nantis de la grande ville, loin des prétentions de toutes sortes.
Que faut-il ? Que la voiture démarre le matin, que quelqu’un nous regarde au moins une fois par jour, que la lumière perce un peu.
Dans le caillou sur lequel on bute, il n’y a même pas la chance d’un éveil, mais simplement le rappel de la matière affligée, à égalité de présence avec tous.

Juan Sanchez, Panadella, Ediciones Anomalas, 2023, 80 pages
https://www.edicionesanomalas.com/en/producto/panadella-3/

©Juan Sanchez