
Giuseppe Penone, Continuera a crescere tranne che in quel punto, 1968-2003, arbre, bronze, installation dans le bois de San Raffaele Cimena, Turin, Italie (Photographie : Archivio Penone)
« J’ai choisi la sculpture parce que considérer le toucher en premier lieu, c’est remettre en cause la vue, c’est revenir chaque fois à l’analyse de l’origine des choses, ce qui empêche la convention. On doit retourner à quelque chose qui est le réel et qui n’est pas seulement une convention du réel. » (Giuseppe Penone)
J’ai découvert à l’adolescence, à Calais, à la Galerie de l’ancienne poste (Marie-Thérèse Champesme), grâce à mon professeur d’arts plastiques, l’œuvre de Giuseppe Penone.
Une forêt poussait à l’envers, depuis les cimaises, j’étais fasciné.
On marchait entre les racines, l’odeur de bois et d’humus était forte, il y avait du vert.
Dans Être crâne (2000), Georges Didi-Huberman a décrit le travail de l’artiste italien inscrit dans le courant de l’Arte Povera : une logique de l’empreinte, des poussées mémorielles, de la persistance des formes, une archéopoétique des traces.
On peut le commenter, mais on peut aussi le lire (un très beau recueil aux Editions de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, Respirer l’ombre, 2009), et entendre sa voix dans le très beau volume bref Sculpter, publié par les Editions Macula, reprenant des propos tenus le samedi 12 décembre 2009 au Nouveau Théâtre de Montreuil dans le cadre des Petites Conférences destinées aux enfants (des dizaines de volumes chez Bayard) imaginées par Gilberte Tsaï.
Richement illustré, cet ouvrage ayant le sens du partage et commençant par une image de Sentiero (Sentier de charme), dialogue entre un être humain en bronze et la végétation le traversant , œuvre visible dans le Parc des sculptures du Domaine de Kerguéhennec (Bignan, Morbihan), passionne par sa simplicité, sa sagacité, sa sapience.
Selon les gnostiques, la matière est affliction.
Selon Penone, elle est le support de l’émerveillement, en témoigne l’œuvre inaugurale (1968-2003) intitulée Continuera a crescere tranne che in quel punto (Il poursuivra sa croissance sauf en ce point), main en acier placée contre un tronc d’arbre donnant la sensation de s’enfoncer en lui à mesure de la croissance végétale, comme s’il s’agissait de glaise.

Giuseppe Penone, Cedro di Versailles, 2000-2003, bois de cèdre
On se souvient peut-être aussi de la pièce sidérante de beauté Cedro di Versailles (Cèdre de Versailles, 2000-2003), où l’artiste a retrouvé, à l’intérieur du tronc d’un cèdre tombé lors de la terrible tempête ayant touché le parc de Versailles en 1999, la forme originelle qu’il avait quelques dizaines d’années plus tôt : un arbre dans un arbre.
Difficile de ne pas penser à Walter Benjamin et aux promesses du passé – généralement non tenues – dans le présent.
Considérant le souffle comme un moment de sculpture naturelle, Penone fait fi de la supposée rigidité des matériaux (bronze, marbre, pierre) pour en montrer au contraire la part vivante, la fluidité intrinsèque – son jardin des sculptures fluides (Giardino delle sculture fluide), situé près de Turin, se visite.
Il n’y a pas séparation entre les ordres naturels, mais continuité, conversations et sous-conversations permanentes.
« Au cours de ma recherche, j’ai travaillé aussi avec une autre matière : le marbre. C’est un matériau constitué de divers éléments et lorsqu’on le découpe, tout un réseau de veines se révèle à nos yeux. On peut constater que dans de nombreuses langues très différentes, le terme de « veine » désigne cette caractéristique de la pierre. C’est aussi une projection de la représentation que nous nous faisons de notre corps. »
Le marbre est une peau (voir Pelle di marmo), l’eau est une peau, le végétal est une peau.
Aller par la peau vers l’âme de l’objet, tel est la grande et magnifique quête de Giuseppe Penone.
« Si vous pensez aux racines des arbres, elles se croisent comme une écriture souterraine dans la forêt. On peut très bien imaginer qu’elles forment des lettres, qu’il y aurait quelque chose de lisible. Par endroits, on peut deviner un O ou un A. » (voir L’Arbre des voyelles, sculpture pérenne dans le Jardin des Tuileries, Paris)

Giuseppe Penone, Sculpter, avant-propos de Gilberte Tsaï, suivi iconographique Yan Le Borgne, Editions Macula, 2023, 64 pages
https://www.editionsmacula.com/livre/sculpter/
