La grâce des indociles, par Yann Mingard, photographe

©Yann Mingard

« L’ensemble de la planète a été piétiné. Nous sommes désormais 8 milliards d’êtres humains (il y a 5000 ans, nous n’étions que 5 à 8 millions d’Homo sapiens). Parallèlement, tout va désormais à une vitesse fulgurante : la plupart du temps, 20 000 avions volent simultanément dans le ciel, avec 200 000 segments de vol par jour ; 5 600 navires porte-conteneurs pouvant transporter jusqu’à 20 000 conteneurs chacun sillonnent les mers du globe presque non-stop afin de ravitailler la planète – et le système du consumer capitalism – en marchandises et en armes (et en drogues). » (Urs Stahel)

On les dénigre, on les méprise, on les discrimine.

On les appelle sauvages, mais elles sont hautement civilisées.

Elles seraient mauvaises, quand elles se montrent si souvent bienfaitrices.

©Yann Mingard

Ces herbes déconsidérées sont, selon Yann Mingard, des Indociles, puissance de vie dans des environnements souvent hostiles.

Des résistantes, des résilientes, des intelligences supérieures.

Poussant sur des sols pollués, ces indésirables sont pourtant indispensables dans leur capacité à absorber les métaux lourds, arsenic, baryum, cadmium, chrome…

Qui se dressent face aux ravages du capitalisme et aux désastres des activités anthropiques ? Eux, les militants et citoyens d’Extinction Rebellion ; elles, les belles indociles.

©Yann Mingard

Publié par les éditions GwinZegal (Guingamp), Les Indociles est, précise Urs Stahel, « le troisième volet d’un travail intensif développé sur plusieurs années. Le premier volet de la trilogie, Deposit, mené de 2009 à 2014, s’intéressait à une nouvelle forme de collection obsessionnelle chez l’être humain. En suivant quatre thèmes, quatre chapitres – plantes, animaux, humains et données -, Yann Mingard mettait en images différentes manières de représenter la vie. (…) Le deuxième volet de la trilogie, Everything is up in the air, thus our vertigo, réalisé entre 2015 et 2018, formule en huit chapitres, en huit axes, l’impasse dans laquelle se trouve l’humanité à l’ère de l’Anthropocène. »

Pour chaque nouveau sujet, l’artiste renouvelle son support, son troisième volume, dont la reliure est une spirale aux teintes cuivrées, montrant en noir & blanc plantes et herbes ayant le don de s’implanter dans des écosystèmes affaiblis, photographies – on pense à l’esthétique de la Nouvelle Objectivité telle que déployée par Albert Renger-Patzsch – alternant avec des images abstraites colorées à la façon d’un diagramme de spectrogramme.

©Yann Mingard

L’art rencontre la science, la science rencontre l’art, le vivant est génial.

L’ouvrage commence par une image de friche, ou de chantier, dans quelque périphérie.

Le végétal s’obstine, il est là, parmi les matériaux abandonnés, en pleine forme parmi les ruines.

Sous les ponts, dans les cours d’eau remplis de gravillons, dans les zones improbables.

Le paysage se blasonne de fougères, ça se réinvente dans l’anthropocène, ça produit du souffle quand la planète s’asphyxie.

©Yann Mingard

Des noms défilent, ce sont des dieux gréco-romains, et celtes : Sélénium, Mercure, Antimoine, Molybdène, Manganèse. Césium.

Que la nature est belle dans l’ordre du maléfice.

On la fouille, on l’extorque, on la pille.

On amène au jour les mondes souterrains, on déstabilise, détériore, épuise.

On se maudit.

Voici le raisin d’Amérique (Phytolacca americana), décrite comme envahissante, toxique pour l’homme et les animaux, mais impeccable pour digérer le cadmium, le plomb et le zinc.

Voici le robinier faux-acacia (robinia pseudoacacia), mais vraiment formi, formi, formidable.

Voici la soude, plante herbacée annuelle pouvant atteindre 60 cm de haut, capable de dissoudre nos angoisses écologiques.

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Indociles s’ouvre comme un herbier, s’expérimente comme un livre de méditation, se transmet comme un secret à partager.

Au marché de Saint-Louis ce matin (Brest), un paysan : « On ne peut rien faire contre la nature. »

Oui, elle peut tout faire, et même nous sauver.

Mais, au fond, le désirons-nous vraiment ?

Yann Mingard, Indociles, direction artistique Yann Mingard et Jérôme Sother, design graphique Marc Kappeler, textes Jérôme Sother, Urs Stahel, GwinZegal, 2023, 168 pages

http://yannmingard.ch/

©Yann Mingard

https://gwinzegal.com/editions/indociles

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