Vivant sauvagement sous l’égide de l’art, chantalpetit, peintre, sculptrice, artiste visuelle

©chantalpetit

« Pandore le sait : toute boîte contient un secret. Et chantalpetit, ouvrant la porte ou soulevant le couvercle, semble libérer la peinture même, cette houle de couleurs, ce flot incontinent qui attendait que vînt son heure – la neuvième ou la dix-septième -, cette corne d’abondance dégueulant dans l’espace de l’or, du pourpre et de l’azur. » (Colin Lemoine)

Publié avec superbe par Dilecta, la monographie chantalpetit, 19732023, dont l’écrivain Colin Lemoine assure la coordination éditoriale, est un ouvrage d’importance.

Parce que l’œuvre de cette artiste, peintre, sculptrice, vidéaste, née à Agadir en 1951 et travaillant à Malakoff, est généralement méconnue dans toute son étendue.

Parce que ce que nous voyons sur les pages témoigne d’une ampleur de vision remarquable.

Parce que le feu et la révolte, parce que la recherche constante, parce que la traversée des apparences, parce que l’ivresse de la création.

©chantalpetit

En termes de poète, dans son texte introductif – où la présentation des étapes d’une œuvre devient une odyssée sensible -, Colin Lemoine dit sa sidération : « Après des dessins sombres, des manières noires imprégnées par le théâtre, des craies Conté ne souffrant pas la couleur, des pastels secs et arides, des songeries apocalyptiques et goyesques, chantalpetit fait ici advenir la peinture véritable, qui entre dans l’espace clos de la boîte – un crâne, qui sait -, qui fait effraction après la chasteté des années premières. A 5 heures, c’est l’aurore qui dégouline, quand le safran le dispute au vert. »

Ekphrasis, hypotypose, l’écriture s’invente au défi de la peinture, s’y adosse, y ajoute ses traits et couleurs, s’y égare pour s’y retrouver, y crie.

Je lis « univers panique », « cosmogonie joyeuse », « bacchanale syncrétique », « peinture diluvienne », « royaume des hybridations », « gestualité lyrique », « dévergondage du rêve ».

« Elle joue avec les éléments – air, eau, terre et feu. Elle peut passer du chtonien à l’aérien, de la terre au ciel, ce qui est la définition de la sublimation. Par la sculpture, chantepetit sublime. Intransitivement. »

Les textes composant 19732023 sont portés par des noms prestigieux, exprimant l’admiration des plus fins regardeurs.

On voit des dessins, des peintures, des photographies personnelles, des sculptures, des essais graphiques.

©chantalpetit

Et les mots de Roger Blin : « Où va-t-elle chercher tout ça ? Quelle colère pousse cette fille si belle et apparemment si gaie à cracher ces monstres sur le papier ? De quoi se venge-t-elle ? Nous ne savons pas, mais nous sommes en présence d’un monde intérieur terrible et narquois qui nous agresse sous forme de larves humaines et animales, dans un déferlement de poils, de plumes, de feuilles, de griffes – tourbillon tout de même très ordonné -, et cette rage se resserre sur des objets reconnaissables au moyen de traits violents, acérés et concentriques ; et une certaine harmonie – l’Art – jaillit quan nous n’y prenons pas garde. »

Goyesqueries, prométhéeries, allumetteries.

Guerre des robots

Alain Jouffroy : « La peinture ose s’exposer à tout : à la terre, au feu, aux grands espaces du monde, à la face de l’univers et des hommes. Quelque chose la traverse, comme un bouillonnement, un torrent – le vent violent d’une énergie inconnue. Se jeter dans la peinture, c’est se laisser emporter par tous ces courants, ces fleuves de braise et de sang, ces protubérances solaires. On s’y noie pour qu’en émerge la lumière, qui donne vie au regard. La peinture ne révolutionne le regard que pour agrandir la vue, rendre le réel non seulement visible, mais « voyable » et « voyant ». En ce sens, la peinture de chantalpetit, plus tellurique et orageuse que beaucoup de sages géographies du sol et des terrains, se raccorde à l’orgie originelle de Dionysos, deux fois né et fils de la double porte : le sexe de Sémélé et la cuisse de Zeus. Ses tableaux flamboient comme un rappel de la création du monde. Au début, sa couleur était un poudroiement, des semences de pastel dans le suspens infini des choses. Puis, elle s’est liquéfiée comme sous l’effet d’un embrasement, et cela a produit des visages, des têtes anonymes, une présence de la multitude et de tous ses yeux, qui béent sur le vide de non-visible et l’inhumain. »

Montagnes, archipels, clinamen (portraits informés par la déviation des atomes).

Vin, vie, vagin, verge.

Marie-Laure Bernadac, bonne cuisinière (huile, œuf, citron, pain) : « Contemplation de quasi mystique de la vie première, de l’« enfance de l’humanité ». chantalpetit renouvelle ainsi le genre éternel de la nature morte, se situant à mi-chemin entre la méditation silencieuse sur la beauté éphémère des choses et le maniérisme sensuel et gourmand d’une amoureuse de la vie. »

Temps de lapinture, reliques, offrandes.

©chantalpetit

Jean-Christophe Bailly : « Ce « pur jailli » que Hölderlin fixait devant la poésie comme un saut périlleux, nul encore ne l’a peint, mais le fait que toute la peinture en parle et ne parle que de lui, tournant autour comme une planète autour de son soleil, c’est ce que vient nous rappeler dans un déséquilibre actif, entre enfance et maîtrise, la peinture de chantalpetit. »

Nuit obscure, portraits de la sainte Paule Thévenin (lisant Artaud comme personne), exercices de sauvagerie.

Qu’est-ce qu’une tête ? ou un coton-tige ?

Vacances en enfer avec des petits hommes verts, ou noirs, polychromes.

Ouverture du Bardo Thödol, ou Livre des morts tibétains.

« J’étais, écrit chantalpetit, en train de faire une série de dessins d’après la lecture du Bardo Thödol, quand RC [le graphiste polonais Roman Cieslewicz] a eu un infarctus. Pendant les huit jours où il est resté dans le coma, nous communiquions : des signes, des événements extérieurs, des détails ou rêves me guidaient. Ainsi un matin, avant que le téléphone ne sonne, un regard de notre chat m’a fait comprendre que Roman venait de mourir. J’ai couru le rejoindre dans sa chambre d’hôpital. L’effroi et le côté totalement impossible de voir son corps sans vie ont été soudain effacés par l’apparition d’un rayon chaud, jaune pâle et luminescent, qui, en même temps qu’il semblait venir de la fenêtre entrouverte, émanait de son corps. Ce rayon de lumière était lui, mais son corps n’était pas lui. »

Jardin des supplices, jardin des délices, corps transfigurés.

Eduardo Manet : « Les figures de chantalpetit n’ont que faire de la Rédemption, encore moins du péché. Avec une joie contaminante, elles occupent tout l’espace, réconcilient l’eau et le feu, enfance et humanité, peinture et visions. Au-delà du bien et du mal subsiste l’humour. Pas l’« humour noir », mais le rouge. Et le vert. Et le jaune. Le bleu, l’orange. Le blanc aussi ; gonflé d’énergie. Traversé par les rafales d’une hilarité salutaire. »

François Barré : « Il y a dans toute l’œuvre de chantalpetit une métamorphose qui opère au travers de grands récits marquant les avancées autant que les doutes et les combats. Certains des tableaux récents s’appellent Transfigures. Ils sont dénotés par le passage et la traversée, le voyage des morts, la présence de l’absence, la transsubstantiation, l’eau qui se change en vin et le plomb en or. »

Joie de la peinture, épiphanies, Le Caravage, Piero della Francesca.

Philippe Morel : « La référence est accessoire aux côtés de la réécriture artistique, du réinvestissement phantasmatique, de l’appropriation esthétique de ce monde imaginaire à l’immense potentiel expressif. »

Peintures à l’or, retables, natures mortes.

L’artiste à Juliette Laffon : « Ma peinture a été qualifiée d’expressionniste et rapprochée de la peinture flamande. Sans doute a-t-elle un côté lyrique ou romantique, j’aime les poèmes de Hölderlin. Mais elle s’en écarte par la couleur et le refus du pathos. »

Bernard Noël, à propos de la série Le festin des yeux : « Cela posé, les dieux peuvent ici manger leur propre visibilité pour délivrer ce qu’elle dissimule et qui est la métamorphose (divine elle aussi) de l’énigme figurative en fable visuelle… »

Jean-Luc Chalumeau la cite : « Je passe d’une pratique à l’autre avant tout pour changer d’air, ouvrir de nouvelles perspectives. Je me donne des règles du jeu, comme peindre, dessiner ou sculpter à l’aveugle, qui me permettent de rebondir, de ne jamais m’installer, mais surtout ce sont des passages vers autre chose, des échappées… »

Fabrice Hergott : « Ses dernières œuvres sont particulièrement libres, ambitieuses et sûres de leur force. »

Le caméléon est le dieu secret de la peinture de chantalpetit.

Il a cinquante ans (19732023), et des millénaires de métamorphoses.

chantalpetit, 19732023, textes (français/anglais) de Jean-Christophe Bailly, Marie-Laure Bernadac, Roger Blin, Jean-Luc Chalumeau, Fabrice Hergott, Alain Jouffroy, Juliette Laffon, Colin Lemoine, Eduardo Manet, Philippe Morel, Bernard Noël, André Ruellan, direction éditoriale Colin Lemoine, Editions Dilecta, 2023

https://editions-dilecta.com/fr/2-livres

https://editions-dilecta.com/fr/home/1498-chantalpetit-19732023.html

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