
Jardins du Tarot – Niki de Saint Phalle
« A bas l’art pour le salon ! » (Niki de Saint Phalle)
On a beaucoup vu Niki de Saint Phalle (1930-2002), ses femmes obèses et jouisseuses, ses objets colorés, son bestiaire fantasque, sa mythologie jubilatoire.
Oui, on l’a beaucoup vue – et l’on se souvient peut-être de l’exposition ayant eu lieu au Grand Palais, à Paris, en 2014 -, mais rarement ainsi, dans son ensemble, et surtout dans sa position d’indépendance à l’égard des pouvoirs et des modes – elle est devenue son propre mécène –, durant les décennies 1980 et 1990.
Initié en 1978, le Jardin des Tarots, son grand jardin de sculptures situé à Capalbio dans le sud de la Toscane, est le projet majeur de la plasticienne franco-américaine ayant sans cesse cherché à abolir les frontières entre l’art et la vie.
Aux Abattoirs de Toulouse – catalogue chez Gallimard -, eut lieu il y a un an une exposition de l’artiste si sensible à la cause (joies et douleurs) des femmes – elle évoqua l’inceste dont elle fut victime dans un livre dessiné poignant, Mon Secret (La Différence, 1994).
Niki de Saint Phalle, « entrepreneuse et ouvrière », « cheffe d’entreprise et de chantier » (Annabelle Ténèze) est une femme voulant s’affranchir des carcans et transformer le quotidien en fête perpétuelle par tous les moyens possibles : sculptures placées dans l’espaces publics, lithographies, mobiliers, parfums, cosmétiques, timbres, livres d’artiste…
Le serpent est peut-être l’emblème de la créatrice des Nanas, cette lovée de la Kundalini dans la colonne vertébrale ouvrant à la puissance et au mystère des extases.
Il y a chez elle de l’enfance perpétuelle, une générosité, une douceur immédiate, dans ses sculptures accueillant le jeu et le rire.
« Je suis une réalisatrice de rêves », déclarait Niki de Saint Phalle à la télévision française en 1989.
L’art n’est pas un ghetto, ni l’apanage des snobs et des discoureurs insipides des officines scolaires à la solde idéologique du moment, mais une effervescence carnavalesque pour tous – après consultation, Lautréamont est d’accord.
Ceux qu’on appelle les minorités, comme tous ceux que la société aime appeler des marginaux, sont considérés pleinement, malades du sida, individus racisés, personnes vieillissantes, exclus des représentations sexuelles dominantes.
Intersectionnelle Niki de Saint Phalle ? Ecoféministe ? Consciente de la responsabilité sociale des artistes ? Oui, à n’en pas douter.
Elle est invitée partout, accepte de s’exposer, use de sa liberté de parole, fait de ses Nanas noires des allégories de la tolérance.
L’intime est politique, il faut faire tomber les tabous, ouvrir les portes au multivers en nous.
« Les sculptures-corps de Niki de Saint Phalle, analyse Lucia Pesapane, sont conçues comme des espaces thérapeutiques où rêver, méditer, guérir et renaître, des lieux où il est possible de mieux vivre ensemble. »
L’art soigne l’âme, la femme, de préférence ronde chez cette artiste explorant la dimension ésotérique du vivant, est source de jouvence, maternité rayonnante, Mère-Terre.
Par son œuvre composée de totems et de fontaines, de figurines et de statues géantes, de lettres dessinées et d’animaux, de crânes et d’obélisques, de bijoux et de miroirs, Niki de Saint Phalle a cherché à enchanter le quotidien, sans jamais oublier la défense des vulnérables, ni de tous les rejetés de la visibilité dominante.

Niki de Saint Phalle, Les années 1980 et 1990, L’art en liberté, sous la direction d’Annabelle Ténèze et Lucia Pesapane, textes d’Annabelle Ténèze, Lucia Pesapane, Julie Crenn, Karine Lacquemant, Thibault Boulvain, Mica Gherghescu, Ruba Katrib, Gallimard, 2022, 224 pages
https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Livres-d-Art/Niki-de-Saint-Phalle
http://ilgiardinodeitarocchi.it/fr/
Catalogue officiel de l’exposition éponyme présentée aux Abattoirs, musée – Frac Occitanie Toulouse, du 7 octobre 2022 au 5 mars 2023

