Un chemin de délivrance, par Charles Juliet, écrivain

Eugène Leroy

« Mon histoire a eu sa part d’ombre, mais au bout du compte, la lumière a fini par l’emporter. Après bien des années, quand j’ai découvert à quoi j’avais échappé, j’ai dû reconnaître que le destin m’avait fait d’inestimables cadeaux, et j’en ai conçu une infinie gratitude envers la vie. »

La lecture est véritablement une opération molléculaire, sorte de transfusion des mots de l’auteur aux centres intellectuels et sensibles du lecteur.

C’est une énergétique très particulière.

Le matin était morne, un peu accablé, encombré de psyschologie pauvre.

Dès la lecture des premières pages de La Fracture, court recueil composé de cinq textes de Charles Juliet, la journée a été métamorphosée : j’étais réveillé, intérieurement éclairé, renouvelé en quelque sorte.

L’accès à la délivrance est probablement le thème principal de l’œuvre de l’auteur de Lambeaux.

Traverser ses empêchements, aller vers le libre, accueillir puis boxer la mélancolie par la discipline des mots et visions sur la page.

De façon à la fois pudique et très émouvante, Charles Juliet rappelle dans un premier texte autobiographique les étapes majeures de son enfance et de son entrée dans la vie adulte : l’abandon à quelques mois de sa naissance à une autre mère, très généreuse – la première mère de l’enfant, épuisée par des naissances trop rapprochées, la perte d’un grand amour et l’obligation de quitter l’école très jeune malgré ses dons, est en dépression, internée dans un asile où elle mourra de faim durant la Seconde Guerre mondiale -, une vie de petit garçon à la ferme jusqu’à l’âge de douze ans (travail agricole du printemps à l’automne), une scolarité d’enfant de troupe jusqu’à vingt ans (solitude, ennui, faim, fraternité masculine, sport, lecture), un destin d’écrivain préféré/arraché à celui de médecin militaire.     

« A vingt-trois ans, alors qu’élève de l’école du Service de santé militaire j’avais entrepris des études de médecine, je suis parvenu à me faire réformer. Dans l’idée de devenir écrivain. Ce besoin d’écrire qui me taraudait depuis l’adolescence, je l’avais toujours combattu. Mais le jour est arrivé où il était si impérieux que je n’ai plus pu le refouler. Dès lors il a pris possession de moi et imprimé à mon existence un radical changement de cap. »

Cette intime conviction orientant une vie, ce « déclic » (lire le troisième texte du recueil, qui est d’un autre régime narratif, étant une nouvelle) voici ce qui a sauvé un jeune homme sombrant peu à peu dans le désespoir.

Témoignant du combat de l’ombre et de la lumière en lui, les neuf tomes des journaux de Charles Juliet sont en cela remarquables, qui mènent à l’éclaircie, à l’ouverture, quand tout semblait si sombre, si difficile, si impossible.

« Me connaître, c’était aussi dans ma pensée détruire celui que j’étais. »

Ôter son masque, prendre des risques, « vivre l’aventure de la quête de soi ».

« Ainsi, poursuit-il, me suis-je laissé travailler par la souffrance, et la crise que j’ai traversée a duré quelque vingt ans. »

Découvrir enfin ce qui ronge (lire les pages 28 et 29), reconnaître sa mission (intérieure).

Dans le second texte, Souvenirs d’une lointaine enfance, l’écrivain se rappelle sa vie à la ferme, les moments passés au pressoir, l’abattage d’une bête, la fenaison, avant que de révéler en fin de volume ses deux lectures fondatrices, L’Etranger, d’Albert Camus (article paru en 2013 dans le Cahier Camus, des Editions de L’Herne) et Le Dieu nu du trop oublié Robert Margerit.

On peut lire en préambule de ce roman cette pensée valant pour un écrivain libéré de ses démons ou entraves : « L’amour fut la première divinité, le Dieu nu des Phéniciens : incarnation du principe de vie. Il personnifia la force attractive qui porte les éléments à s’agréger et à se combiner. »

Charles Juliet, La Fracture et autres textes, P.O.L, 2024, 140 pages

https://www.pol-editeur.com/index.php?spec=auteur&numauteur=103

https://www.leslibraires.fr/livre/22992069-la-fracture-et-autres-textes-charles-juliet-p-o-l?affiliate=intervalle 

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