
©Céline Ravier / Hans Lucas
« Une sensation entre en moi et me glace. Figée, je scrute l’opacité qui m’encercle à a recherche d’un signe, d’une couleur, d’un mouvement. Dans les quelques mètres carrés de visibilité où je me trouve, je me tourne vers les quatre points cardinaux. Je crie. Je hurle son prénom. La brume étouffe ma voix. Silence. La beauté mystérieuse du paysage laisse place à l’effroi du vide. » (Céline Ravier)
S’il n’est pas certain que les forêts marchent – comme l’écrit Shakespeare dans Hamlet -, on ne peut douter de leur pouvoir d’écoute.
Dans un livre simple et beau, Déperdition, publié à Marseille par Images Plurielles Editions, Céline Ravier donne le sentiment que la forêt la regarde plus encore qu’elle ne cherche à la représenter.

©Céline Ravier / Hans Lucas
L’existence citadine s’est arrêtée, pour laisser place à un pulsation de vie bien plus vaste que des préoccupations d’humains, et des peurs, lointaines, celles des enfants égarés dans les bois des contes d’autrefois.
On entre dans une forêt, on perd ses repères, on s’en remet à plus grand que soi.
Ce qu’a vécu Céline Ravier est de l’ordre d’une expérience initiatique, d’un dessaisissement de soi.

©Céline Ravier / Hans Lucas
Tout était fonctionnement, labeur des jours, mécanique des tâches à accomplir, et tout est devenu mystère.
Une route de campagne dans la brume.
Telle lumière dans le lointain.
Telle irrégularité sous les pieds, des racines poussant la terre et les cailloux jusqu’à faire trébucher le promeneur.
Déperdition est une œuvre de silence, un peu comme une oraison muette.

©Céline Ravier / Hans Lucas
Les images de format carré, induisant la concentration de la vision, ont des teintes similaires, très douces, entre le brun, le vert ténu et le noir – on rêve de voir les tirages – créant une unité entre des ensembles végétaux se trouvant sur des territoires discontinus.
Il a des arbres étêtés, des troncs de guingois, quelque chose a eu lieu, un incendie peut-être, ou une tempête.
Les arbres ne sont pas remarquables, à la façon de ceux qu’on trouve dans les manuels de curiosités naturelles, ils n’ont pas besoin de l’être.
Beaucoup de pins, ces adolescents fougueux poussent très vite.

©Céline Ravier / Hans Lucas
Gouttelettes d’humain, rosée de canopée, calme profond.
Insignifiance de nos soucis.
On est en Chine du côté du mont Taishan, on est un moine zen portant des sandalettes et un bissac, on est un personnage dans un tableau romantique de Caspar David Friedrich.
Mais un homme portant un sac à dos marche à l’horizon.
Il est là, on le perd de vue, il a disparu.
Les yeux sont insuffisants, il faut le retrouver avec le cœur.
C’est peut-être cela, la grande énigme informant toute chose, la vibration d’amour liant le végétal et l’humain, et les autres élémentaux.

©Céline Ravier / Hans Lucas
Philippe Bresson écrit quant à lui en préface : « Désormais seul au cœur d’une forêt dans laquelle, je cite, « on entre comme dans une église », et qui n’est pas sans rappeler celle, splendide et infernale, immortalisée par Lars von Trier dans Antichrist, je me laisse glisser dans la marge des images et je suis tour à tour « She » et « He », couple dévasté qui, dans le film, essaie de remonter la pente tant « bien » que « mal ». »
Le lac est nu, le corps est ferme et chancelant comme un cairn, il est temps de vivre l’expérience de la dilution du moi.

Céline Ravier, Déperdition, préface Philippe Bresson, haïkus Céline Ravier, conception graphique Lili Fleury, direction éditoriale Abed Abidat, Images Plurielles Editions, 2024
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