
Georges Braque (1882-1963), Guitare et verre (1921), Musée d’Art moderne, Paris
« Le passage à l’acte, au-delà de toute mise-à-mort, obéit à une formidable accélération du vivant. » (Léa Bismuth)
Il est temps de passer à l’acte.
Il est temps de basculer, de franchir la limite, d’engager sa vie dans une direction plus unie avec nos nécessités intérieures.
La bête est dans la jungle, nous attendons mélancoliquement qu’elle nous dévore, nous griffe ou nous gifle, mais nous pouvons nous détourner, renverser le regard, chasser la délectation morose.
Vivre et non pas survivre, ou continuer à exister mécaniquement.
Temps de s’embrasser, de se laisser ravir, de ne plus en revenir.
Temps d’agir poétiquement.
Sujet de la thèse de doctorat en théorie de l’art de Léa Bismuth, dont on connaît probablement la pertinence en tant que commissaire d’exposition (voir notamment le cycle La Traversée des inquiétudes, à propos d’un usage contemporain de Georges Bataille), L’art de passer à l’acte, publié en une version remaniée par les Presses Universitaires de France, est un essai sur l’aventure d’un coup de dé.
L’art de jouir, l’art de se marier, l’art de la guerre, l’art d’assassiner notre vieille dépouille pour entrevoir des horizons plus vastes.
Le texte est bien entendu très informé, c’est un flux de pensées, un éloge des auteurs amis ayant ouvert des chemins d’émancipation et des lucidités nouvelles (Bernard Stiegler, Bernard Noël, Jean-Luc Nancy, Marguerite Duras).
On sait l’acception juridique et clinique de l’expression « passage à l’acte », mais il s’agit ici de l’aborder dans sa dimension métaphysique, dans sa dynamique intime de sauvegarde, voire de sécession, dans sa façon – la psychanalyse est convoquée – de tenir sur son désir, jusqu’à la déchirure – moment crucial de légitime défense intérieure.
Qu’est-ce qui nous prend ? C’est le crime d’amour, l’expression ultime des pulsions du moi menant à l’écriture ou d’autres actes décisifs en lien avec notre processus d’individuation (Jung-Stiegler).
Pour que s’opère le passage à l’acte, il convient de ne pas manquer le kairos, l’instant décisif, avoir le courage d’entrer pleinement dans la vita activa qu’a théorisée, contre la zoé (vie végétative), Hannah Arendt.
C’est une question de tempo, de rythme juste, de synchronie intime.
Une effraction a lieu, « un coup de hache », menant à des intensités inédites, un sentiment de liberté et d’ivresse.
Quelque chose a explosé, les ponts sont rompus, un cri a été libéré (lire Ayaï ! de l’écrivaine-philosophe Hélène Cixous).
On accède ainsi à sa royauté première, à sa souveraineté, à la vitalité irréductible, à la chance.
Rimbaud est cité : « Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie. »
La littérature, l’art, la poésie, sont de l’ordre du réveil.
Nous dormions, nous voilà enfin soulagés de notre cécité et de nos hypnoses.
L’art de passer à l’acte est plus qu’un livre intelligent ou savant, c’est un pari sur l’insurrection des possibles.
Sans attendre demain.
Se tenir droit, redresser la colonne vertébrale, respirer dans l’axe terre-ciel, et accepter avec Léa Bismuth ce qui vient, qui est le nouveau, le neuf, le révolutionnaire.

Léa Bismuth, L’art de passer à l’acte, collection Perspectives critiques, PUF, 2024, 174 pages
https://www.puf.com/perspectives-critiques

