La Voie des fleurs, acte du silence, par Gusty L. Herrigel, sensei

« Partout les fleurs laissent leur empreinte souveraine : elles nous parlent comme si leur vie était reliée à la nôtre. Dans le bureau froid, quelques fleurs suffisent pour que même découragé on se sente soudain rendu à soi-même. »

Interrompez tout, n’écoutez plus l’incessante musique de la jouissance de la mort, tout est faux, regardez les fleurs.

Il faut respirer dans le large, faire retour sur soi, opérer un renversement, entrer dans un océan de calme.

La voie des fleurs, de Gusty L. Herrigel, est en cela, dans ces territoires intimes où l’indemne règne de nouveau, un livre merveilleux.

La voie des fleurs, ou de l’ikebana, de l’art floral.

Le nom de Gusty L. Herrigel vous dit peut-être quelque chose, si vous avez lu l’ouvrage non moins fondamental de son époux, le professeur Eugen Herrigel, auteur du fameux Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc.

Vous ne distinguez plus la cible de la flèche, vous êtes la flèche et la cible, vous vous confondez avec l’univers, il n’y a plus de séparation.

Vous êtes la fleur, et le vase qui la contient – posé dans le tokonoma, la niche murale de la maison -, vous êtes la branche d’osier ou de saule, le bambou, le frésia.  

Vous êtes le silence et son bruissement, votre cœur bat avec le cœur des choses.

Vous êtes le soin : « On dirait que toute souffrance doit être épargnée aux plantes, tant elles sont maniées avec précaution, jusqu’au moment où la forme cherchée est enfin réalisée. »

Un maître vous enseigne la patience par la transmission muette des gestes et la noble exigence, la nécessité de former un triangle avec les branches qui auront la fonction d’étais.

« Dans l’art de la composition florale, l’œuvre intérieure doit aller de pair avec l’œuvre extérieure, pour exprimer la totalité du ciel, de l’homme et de la terre. »

Vous prenez un thé dans les règles de l’art, vous fumez une cigarette, vous regardez le ciel.

Vous êtes tout petit, comme la lune là-bas, ou le gravillon sous vos pieds.

Voir l’invisible dans le visible, et le visible dans l’invisible.

Le Maître : « La beauté appariée à la vertu est puissante. »

Tout est question de justesse, d’équilibre, d’humilité, de recueillement, de concentration.

« Les Japonais possèdent un mot expressif, shibuni, dont le sens est à peu près : authentique, vrai, simple, droit, et qui s’applique au Maître et à son art. »

Dans les expositions de compositions florales, l’œuvre du Maître est installée parmi celles de ses disciples, sans position de surplomb ou de priorité de statut, elle est simplement là, modestement, une parmi d’autres.

« Son œuvre est si dénuée de prétention qu’elle attire à peine le regard. Mais lorsqu’on l’a découverte, on ne peut plus en détacher les yeux, tant on est saisi par la puissance de son expression. »

La tranquillité intérieure, le repos de soi, est la loi, sans cesse rappelée.

Le Maître : « Il ne faut s’enorgueillir de rien ; il y a toujours un degré supérieur à celui où l’on est parvenu. »

On acquiert une technique, non pour l’exploit, mais pour l’oublier totalement.

« Au Japon, un philosophe ne se pare pas d’ornements extérieurs ; il est l’homme le plus modeste, le plus détaché qui soit des choses, comme de lui-même. Sa vie est pleine d’un sens secret, et ce sens imprègne son comportement. »

L’art de la composition florale, qui est art de vivre, est une expérience de l’être.

« C’est une particularité de l’Extrême-Orient de commencer par le détail, le détail insignifiant, de penser que rien ne va de soi et ne doit être fait à demi, mais qu’au contraire il faut s’exercer aussi longtemps que la perfection n’est pas atteinte et naturelle. »

On ne se hâte surtout pas.

« On s’aperçoit combien on est riche de temps lorsqu’on a cessé de croire qu’on n’en a pas. »

Vous vous sentez peiné(e) d’avoir utilisé beaucoup de fleurs pour l’ensemble de vos réalisations ?

Pourquoi ne pas dresser un autel pour l’âme des fleurs sacrifiées ?

« Dans les arrangements de fleurs, les espaces vides laissés entre les plantes font partie de la composition, au même titre que les plantes. »

Comme dans le vide entre les mots lorsqu’on écrit, non ?

Qui pense encore aujourd’hui le paradigme éducatif de la fleur ?

« Il n’est pas douteux qu’un simple bouquet de fleurs sur la table familiale contribue à former l’âme de l’enfant autrement que des repas pris dans une ambiance morose. »

Le samouraï lui-même se doit d’être sensible à la puissante délicatesse de ces entités fragiles.

« On peut imaginer, poursuit Gusty L. Herrigel, la force d’âme extraordinaire, la maîtrise intérieure que possède un seigneur féodal dont le château subit déjà l’assaut de l’ennemi, et qui conserve le calme, le recueillement et l’imperturbabilité nécessaires pour arranger des fleurs. Cette action est irrévocablement la dernière, et pourtant elle est toute sérénité. Elle ne prétend rien signifier, mais porte le sceau du destin accepté, de la vie droite et détachée, de l’art sans artifice – tel que le comprend aussi le véritable archer. »

La perfection de l’art ? Donner l’impression que l’œuvre est un objet de la nature.

« Donner un visage à la vérité du ciel lui-même est la plus haute mission assignée à l’artiste, que seul peut accomplir le grand peintre ou le grand poète. Et s’il lui est donné de réussir, l’élève produira cette vérité à la lumière, involontairement et naturellement, comme un trésor caché en lui. Que le Maître en soit remercié ! »

Je crois que Fabienne Verdier serait d’accord.

Gusty L. Herrigel, La voie des fleurs, traduit de l’allemand par Emma Cabire, présenté par le professeur D.T. Suzuki, Arléa, 2024, 170 pages

https://www.arlea.fr/La-Voie-des-fleurs-1258

https://www.leslibraires.fr/livre/23321115-la-voie-des-fleurs-gusty-luise-herrigel-arlea?affiliate=intervalle

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  1. Avatar de christinelefebvre23 christinelefebvre23 dit :

    Merci Fabien de nous faire découvrir tant de choses !

    la voie des fleurs: oui, ça me parle tant!

    belle suite d’été

    christine lefebvre

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