Il n’est rien d’égal au tabac, par Ediciones Anomalas, éditeur

©Universitad de Sevilla

Molière l’a écrit, on peut lui faire confiance.

Voici Sganarelle tenant une tabatière à l’orée de Dom Juan (1665) : « Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n’est rien d’égal au tabac : c’est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l’on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu’on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d’en donner à droite et à gauche, partout où l’on se trouve ? On n’attend pas même qu’on en demande, et l’on court au-devant du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d’honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. »

On peut lire dans le motif du tabac avec Paul Audi (La riposte Molière, Verdier, 2022) une métaphore du théâtre, tout va bien, rassurez les familles.

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Ah oui, mais Carmen, l’ouvrière fabriquant des cigares dans la célèbre œuvre éponyme de Mérimée/Bizet (1847/1875) ? Ne fallait-il pas la douceur des cuisses des belles Sévillanes pour fabriquer ces délices à la douceur oblongue allant comme gant de dentelle déroulée à la bouche de ces messieurs ?

Roule-t-on la feuille précieuse venue des colonies à Séville comme on le fait à Cuba ?

Aujourd’hui, les manufactures de tabac périclitent, ferment, se transforment (en services administratifs d’université dans la ville andalouse, en lieux de culture ailleurs, en habitations collectives).

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Elles disparaissent, mais on peut cependant en sauver la mémoire, tel est l’objet de Fabrica de Tabacos, livre d’archives, compilant des documents en noir et blanc témoignant de la grandeur de cette industrie en Espagne.

On trouve des exemples de ce riche patrimoine à Valence, à Bilbao, à Santander, à La Corogne, mais cet ouvrage copublié par Edicones Anomalas et l’université de Séville n’a pas l’ambition des bons élèves cherchant l’exhaustivité.

Fabrica de Tabacos est un livre de sensations et de silence, pas une encyclopédie.

Voici des dirigeants posant devant un photographe assermenté. Malgré la qualité de la vêture et des souliers, ce ne sont pas les membres d’un groupe surréaliste ibérique ne distinguant surtout pas le chic du désir d’insurrection.   

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Maintenant, ce sont des ouvrières, soit, dans le montage de ces images, une histoire du genre en deux pages.

Les tubulures sur la façade d’une usine, une femme parmi des hommes, tout fout le camp, une colonne se couche.

On terrasse, on construit, on édifie des pyramides modernes.

Là-bas, les propriétaires terriens veillent sur leurs plantes comme Harpagon époussette sa cassette.

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On sèche, on tresse, on transporte.

Le tabac allège le cerveau, c’est une bénédiction.

C’est le monde nouveau, c’est le travail à la chaîne des petites paysannes exilées, c’est, espérons-le, le chant qui les unit aux heures de labeur.

Les patrons veillent au grain, les mécaniciens réparent l’outil de production, les syndicalistes tonnent.

On regarde Fabrica de Tabacos, on voit l’effort, l’organisation, les différences de classe.

On ne juge pas, on reprend une bouffée, on meurt demain.  

Fabrica de Tabacos, texte Luis Mendez Rodriguez, Luis Martinez et Rocio Plaza Orellana, desing Underbau, Ediciones Anomalas / CICUS de l’Université de Séville, 2024, 96 pages

https://www.edicionesanomalas.com/producto/fabrica-de-tabacos/

https://www.leslibraires.fr/livre/20043835-la-riposte-de-moliere-paul-audi-verdier?affiliate=intervalle

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