
©Caroline Kist
S’interrogeant profondément sur la nature du voir, Caroline Kist photographie son univers familier.
Dans l’ordinaire réside non pas l’extraordinaire, mais une dimension inconnue qu’il est possible, quelquefois, de percevoir.
En regardant son livre autopublié, d’une facture très soignée, notamment en son fil de couture noir et blanc, It’s that you’re here, on pense à ce propos de Paul Klee commençant l’un de ses chapitres dans le volume regroupant l’ensemble de ses écrits théoriques parus de son vivant, La théorie de l’art moderne : « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. »

©Caroline Kist
Cet aspect de dévoilement conduit la poétique photographique de Caroline Kist, qui, en nuances de gris – « point non-dimensionnel, point entre les dimensions et à leur intersection, au croisement des chemins » (Paul Klee, toujours) -, cherche à comprendre qui est son frère Reinoud, atteint du syndrome de Down, appelé aussi trisomie 21.
Qui prend les photographies ? Qui voit ? Que voit-il ? Qui regarde qui ?
L’impression est celle d’une immersion dans la psyché d’un homme percevant la réalité avec ses propres facultés, différentes de celles de la plupart des gens qui l’entourent.
Les images font alterner les portraits d’un frère incarnant le mystère, les détails de son corps, et des éléments extérieurs (une table, des rideaux, des ciels, des roches).

©Caroline Kist
Les photographies laissent sourdre la chimie qui les a créées, nous sommes dans un monde flottant, sensation redoublée par l’utilisation régulière de papiers transparents.
Des pieds poussent l’espace comme si la pesanteur n’existait pas, des mains cachent un visage – jeu ou pudeur ? -, de la lumière dessine sur un mur des formes géométriques transcendantes.
Les doigts se touchent, s’entrelacent, forment des points de solidarité et de chaleur.
Reinoud dessine, s’endort, rêve son environnement immédiat comme s’il s’agissait d’une terra incognita.
La lumière est une puissance de révélation en ses halos de fécondité.
La philosophie commence par un moment de stupéfaction, l’art aussi.
Des gouttes de pluie, des arbres dans le lointain, des poils, un tissu, un câble sous un tapis, un plafond, un parquet.
Rien n’est évident, tout est énigme, comme cette tache sur un drap formant constellation par une éparpillement de points noirs faisant songer à de la moisissure.

©Caroline Kist
Reinoud pose sa main sur le dessin qui en représente les contours.
Où est-il ? Ici, dans la chair, ou là, dans le trait ?
Paul Klee peut être encore cité : « L’art traverse les choses, il porte au-delà de la réalité aussi bien que de l’imaginaire. »
N’est-ce pas justement ce que l’on peut désigner comme le réel, qui est levée des voiles au moment de la pleine conscience ?
It’s that you’re here est un geste de communication directe entre un frère et une sœur, d’esprit à esprit.

Caroline Kist, It’s that you’re here, edit Nicole Segers, Karianne Bueno, Caroline Kist, autoédition, 2024 – deux cents exemplaires numérotés et signés

©Caroline Kist
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