
©Vincent Gouriou
Un chant d’amour est un court métrage réalisé par Jean Genet en 1950.
Il y montre, dans une tension homoérotique sans relâche, la complicité entre deux détenus séparés par la cloison de leur cellule, les prisonniers – d’abord de leur désir – communiquant grâce à un trou percé dans le mur auquel ils s’accolent.
Pensant à l’auteur du puissant Un Captif amoureux, Vincent Gouriou a nommé Champs d’amour le livre qu’il consacre aux relations LGTBQIA+ entre paysans et paysannes, le troisième et dernier titre de la collection Traversée chez Filigranes Editions (après les beaux volumes de Christophe Goussard et Anne Rearick) mettant en valeur le territoire du Massif central.

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A l’orée de l’ouvrage, Marie-Hélène Lafon dresse le cadre : « Les cieux sont d’orages, / un coin de lumière bleue s’enfonce dans le cours des jours, / un jaune claque et gueule, / les verts s’époumonent et se déploient, / un arc-en-ciel s’immisce, / le vent galope et piaffe, / des arbres s’évertuent dans les paysages, / il neige il a neigé il neigera. »
Poursuivant un travail mené en Bretagne, notamment dans les Monts d’Arrée, sur les personnes queer, généralement invisibilisées, les préjugés s’attachant à considérer que la grande ville est plus favorable que la campagne aux liens autres qu’hétéronormés, le photographe vivant à Brest montre avec beaucoup de douceur les êtres qu’il a rencontrés et lui ont fait confiance, ainsi que leur accord avec l’environnement naturel dans lequel elles vivent.

©Vincent Gouriou
« Gays, couples lesbiens, personnes transgenres…, explique l’artiste en postface, sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à rester ou à revenir sur leur terre. Les relations avec les territoires, la nature, l’écologie, suscitent en effet de nouvelles façons d’être dans lesquelles ils assument leur identité. Ce qui n’empêche pas leurs représentations d’être encore trop invisibles. »
Attentif aux lumières préservant la part d’ombre et d’intimité en chaque lieu comme en chacun, Vincent Gouriou photographie l’espace rural du Massif central comme un endroit d’élection où se côtoient de façon très proche la réalité et la légende.

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Un renard mort, une meute de chiens, les outils de la paysannerie : la sensation est celle d’un unité entre la peau des bêtes et les objets qui les conduisent, maintiennent, contiennent ou entravent.
Il fait nuit, Vincent Gouriou regarde les mains des travailleurs de la terre, posées sur les animaux ou les épaules de leur partenaire, la sensualité n’est ni niée, ni exhibée, elle est simplement l’une des données de la vie bonne, au sens de Judith Butler.
Un homme a dormi, torse nu, dans son meuble-lit.

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Sur le paillasson de l’entrée, son chien l’attend, brave, près des bottes vertes prêtes à être chaussées.
« J’ai rencontré, précise le photographe, Philippe, éleveur de vaches Salers ; Anthony, adepte de la permaculture et de la pratique chamanique ; Bony, qui développe des activités culturelles en territoire rural ; Isabelle et Valérie, éleveuses de moutons comme Adrian et Sébastien ; François et Patrice, éleveurs de vaches laitières , Sarah, parisienne, qui vit désormais dans un éco-village ; Jacques et Olivier, revenus vivre à la campagne après une vie urbaine ; Jean-Baptiste dans sa ferme pédagogique ; Marie dans sa savonnerie artisanale avec sa compagne Charlène et leur bébé ; Anna dans un tiers-lieu culturel à la campagne ; Guillaume et Tom dans leur ferme pédagogique ; Boubou maraîchère et son amie Popi dans une ferme collective… »
Le regard de l’invité est pudique, fraternel, de partage, simplement humain.

©Vincent Gouriou
Brebis et bogues de châtaignes, couples d’hommes et de femmes.
Il y a, sans forçage, des éléments fantastiques, comme des totems étranges, et des personnages donnant l’impression de surgir du fond des âges.
L’homme et l’animal fusionnent, une humanimalité nouvelle est peut-être en train de naître, ou de renaître.
Vincent Gouriou n’a pas seulement documenté avec poésie et sensibilité un territoire, il propose les conditions de métamorphoses et de vies nouvelles, plus amples, plus vraies, plus unies avec le tout-autre.

Vincent Gouriou, Champs d’amour, texte Marie-Hélène Lafon, conception graphique Patrick Le Bescont, Filigranes Editions / Clermont-Ferrand Massif central 2028, 2024, 64 pages

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https://www.filigranes.com/livre/champs-damour/
