Aisne, entre grâce et néant, par Antoine Dambrine, photographe

©Antoine Dambrine

Avec sa belle couverture gris sombre marquée à chaud, Argiles, d’Antoine Dambrine, s’impose d’emblée par son élégance sobre.

Composé de photographies en noir & blanc, horizontales et verticales, cet ouvrage où règne un silence propice à la contemplation possède un grain très fin rappelant que chaque image est une épiphanie, que le visible reste de l’ordre d’une grâce.

Ce sont des paysages de l’Aisne, qui sont aussi des espaces intérieurs, des possibiltés d’introspection.

©Antoine Dambrine

La terre est omniprésente dans Argiles, qui est la glaise originelle, nouricière, mais aussi celle des premiers humains des mythologies, ainsi que celle où furent ensevelis et déchiquetés les soldats de la Première Guerre mondiale.

Tout est serein, quand tout fut de fer.

Il reste des vestiges des tueries, des cimetières militaires, et des ruines de nobles édifices, alors que passe peut-être au loin, dans la brume, le fantôme du fabuliste libertin La Fontaine, qui vécut à Château-Thierry.

Argiles est à sa façon, en de superbes tirages réalisés par l’auteur, une méditation sur l’histoire, sur la disparition, sur la destruction, et sur la résilience des sols exploités comme jamais à partir de l’ère industrielle.

©Antoine Dambrine

Des bâtiments dont on ne sait pas vraiment quelle fut leur fonction apparaissent tels des géants extravagants venus d’une autre planète, tout près des croix où l’on prie pour le salut des morts.

Des chênes et des hêtres parlent, mais nous ne les comprenons pas.

Sous le monticule de betteraves à sucre, combien de défunts ?

Cet arbre là-bas, isolé sur la ligne d’horizon comme un bonze japonais errant dans la campagne, existe-t-il vraiment ou est-ce un mirage psychique ?

©Antoine Dambrine

Les éoliennes font leur travail, brassant le ciel comme les machines ont labouré la boue, et la propagande guerrière les cerveaux.

Il y a des signes, des inscriptions signalétiques, des chemins tortueux, des câbles électriques ou téléphoniques sillonnant les champs.

Les humains sont présents, mais en creux, ce sont des maîtres généralement malfaisants.

Des statues ont les yeux clos, il faut fermer les yeux pour mieux voir, ou cacher notre honte d’avoir tant aimé le néant.

©Antoine Dambrine

Argiles propose une réflexion d’ordre métaphysique sur la fragilité des existences et la force de persistance des paysages se recomposant malgré tout, fécondés de sang noir.

Attentif à la géométrie, Antoine Dambrine cadre des mystères, non quelquefois sans une certaine forme d’ironie visuelle.

On ne rit pas, mais l’on s’étonne, mais l’on sourit de l’absurde humain, comme on peut continuer à s’émerveiller des sociétés utopiques – le Familistère de Guise -, et de la nature poursuivant son grand œuvre.

©Antoine Dambrine

Vers Soissons, on peut croiser Clovis.

Dans le Valois se promène Gérard de Nerval.

Au Chemin des Dames des combattant se déchirent les poumons à coups de baïonnettes.

A Villers-Cotterêts, François 1er signe un édit capital pour la langue française.

On s’allonge le long de la Marne en pensant au regetté Gérard Rondeau, et l’on reprend le livre depuis le début car il est certain que l’on n’a encore rien vu.

Antoine Dambrine, Argiles, préface Ariella Masboungi, conception graphique et réalisation Dominique Gaessler, Trans Photographic Press, 2024, 96 pages

https://www.transphotographic.com/produit/argiles-dantoine-dambrine/

©Antoine Dambrine

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