Nuits kabyles, par Karim Kal, photographe

Haute Kabylie, 2023 © Karim Kal

Chez Karim Kal, la nuit est une matière à sculpter, un espace où se retirer, un secret.

Avec Mons Ferratus, le treizième lauréat du Prix HCB déploie un univers qui est celui de la clandestinité et de l’abstraction.

Dans une vision ne distinguant pas le documentaire de la poésie, l’artiste franco-algérien explore, à partir des collines du Djurjura, massif montagneux appelé par les Romains Mons Ferratus, les nuits de la Haute-Kabylie.

Haute Kabylie, 2023 © Karim Kal

Il s’agit d’un territoire symbolisant la résistance d’un peuple aux invasions ou colonisations de toutes sortes.

Employant un dispositif d’éclairage artificiel, Karim Kal s’attache particulièrement à isoler dans ses images enténébrées éléments architecturaux et végétaux.

L’obscurité relève ici tout autant de l’imaginaire mythologique que de la contemporanéité politique.

A qui appartient la nuit ? se demande dans un texte brillant reproduit en avant-propos l’écrivain oranais Kamel Daoud.

A la peur, aux fous et aux bandits, analyse-t-il, et pas du tout aux femmes.

Haute Kabylie, 2023 © Karim Kal

« La nuit algérienne reste un monde sauvage et un pays sans loi. On pourra lancer de grandes autoroutes, importer des avions et des Suédois, cela ne servira pas à faire de nous un pays fréquentable et moderne tant qu’on n’a pas reconquis la nuit algérienne pour la redonner aux Algériens. »

Ponctué par des pages de textes couleur brique faisant songer à la terre de Haute-Kabylie, Mons Ferratus possède un indéniable pouvoir de fascination.

On songe, pour les lignes graphiques et les points de couleur, à la peinture abstraite américaine de la seconde moitié du vingtième siècle, mais aussi aux guerres fratricides ayant lieu à bas bruit, aux agissements délictueux, et à tout ce la nuit comporte de liberté quant aux conventions du jour.

Par sa pratique de photographie nocturne, Karim Kal prend le temps d’acclimater le regard à ce qui est sensé lui échapper, pénétrant les territoires d’Erèbe blasonnés de signaux lumineux.

La vie est là, mais noyée par le néant, jamais très loin de la fiction ou de la dystopie.

Des chemins, des mosquées, des lueurs verdâtres, des flashes de couleur découpant le paysage.

Imprimé dans un noir profond sur papier brillant, les pages de Mons Ferratus se découvrent avec la sensation d’entrer dans un espace interdit, la dimension de transgression étant omniprésente.

Haute Kabylie, 2023 © Karim Kal

Il y a du danger, des failles, des marques anthropiques, des déchets, des roches.

La nuit est-elle liberté ou enfermement ?

Sommes-nous dans un camp de relégation ou dans l’Ouvert rilkéen ?

Ça rouille, ça écrit « Tizi Ouzou » ou « Interdit aux étrangers », ça sent la martyrologie et l’emprise idéologique.

Quels monstres sont-ils tapis dans le noir ?

Quels sont les êtres cachés ici ?

A qui sont les corps sous ces tombes aux stèles ovoïdes ?

Par son parti pris de radicalité, Karim Kal produit une image en quelque sorte soustractive, les informations visuelles parcimonieuses étant de l’ordre du choix de l’installation plastique minimaliste.

Pourtant, rien de factice, mais la stricte réalité d’un monde usé, jonché de gravats, troué, fatigué.

Haute Kabylie, 2023 © Karim Kal

Tout est à réinventer, les incendies vont nettoyer les excroissances humaines, les crânes des Kabyles conservés au musée de l’Homme vont se réveiller.

La nuit photographiée par Karim Kal est à la fois énigmatique, désolante, merveilleuse, et génésique.   

Karim Kal, Mons Ferratus, textes de Kamel Daoud et Emilie Goudal, entretien de Karim Kall avec Clément Chéroux, édition Jordan Alves design graphique François Dézafit, fabrication François Santerre, Atelier EXB / Fondation Henri Cartier-Bresson, 2025

https://www.henricartierbresson.org/laureats/karim-kal/

Haute Kabylie, 2023 © Karim Kal

https://exb.fr/fr/home/662-mons-ferratus.html

Exposition éponyme à la Fondation Henri Cartier-Bresson (Paris), du 28 janvier au 13 avril 2025

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