Un enfant s’absente, par Martine Voyeux, photographe, et Carole Naggar, auteure

©Martine Voyeux

« D’habitude les portraits cherchent à révéler une présence ; mais c’est une absence que ce portrait dépeint. L’enfant s’abandonne, cils baissés, comme un rideau, visage pressé contre l’épaule. Sa joue est marquée de cheveux très fins. D’autres cheveux coupés parsèment aussi le pré clair du drap, comme des poussières, des aiguilles de pin, des écritures illisibles. » (Carole Naggar)

Pourquoi écrit-on sur la photographie, se demande en préambule de Entracte, livre sur une photographie de Martine Voyeux, l’écrivaine Carole Naggar ?

Parce que les meilleures images sont opaques, qu’elles résistent à l’univocité, que leur polysémie brille d’un éclat spécial propice à l’ouverture du langage.

En photographiant un petit garçon dans un salon de coiffure du centre de Naples, ayant revêtu une blouse ressemblant à une chasuble de fortune, Martine Voyeux a regardé un enfant s’absentant.

A Naples, où l’on vit en permanence sous la menace du réveil du Vésuve, la mort est omniprésente, alors que se pressent dans la foule de Spaccanapoli, quelquefois indistincts, anges et démons.

Le surnaturel côtoie la réalité la plus immédiate ou crue, les fantômes se bousculent dans les rues.

Lors des inondations importantes, révèle Carole Naggar, il n’est pas rare de voir s’échapper des caves ou autres souterrains des bouts d’os, fragments de squelettes abandonnés à la hâte, laissés sans sépulture, lors de la grande peste de 1656.

Un enfant assoupi, donnant la sensation de rêver sur la frontière entre la vie et la mort, apparaît chez Martine Voyeux tel un messager discret.

Les modestes sont parfois, souvent, les plus puissants, les plus nobles.

Dieu reviendra, puis c’est l’Apocalypse – on se jette dans la chaux d’un fleuve de drogues à Naples -, puisqu’un enfant dort, puisque quelqu’un le regarde, puisque le temps est devenu un instant rose et blanc.