Forêt, mystère d’âmes errantes, par Alex Llovet, photographe

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©Alex Llovet

Pourquoi aller en forêt ?

« Pour perdre son esprit, et retrouver notre âme », répond Alex Llovet dans son beau livre inspiré d’une phrase de l’écrivain américain né en Ecosse, pionnier de l’écologie, John Muir, And into the forest I go.

Il faut faire silence, se dépolluer les yeux, les oreilles, tous les sens – comptons-en douze avec bon nombre de peuples.

On marche calmement, on rencontre des personnes habitant le paysage, peut-être un peu marginales, ou/et très savantes, on entre dans la profondeur de la ruralité.

Il faut se frayer un chemin, tout est enchevêtré, le vivant sait par où passer, comment et pourquoi s’entrelacer ou se repousser.

Imprimées en grand format sur papier épais, bordées pour presque toutes d’un léger liseré blanc, les photographies du nouveau livre d’Alex Llovet, par ailleurs responsable des éditions barcelonaises Posibles, possèdent une chromie, brun vert, qui les unifie.  

©Alex Llovet

Le calme règne, offrant à chaque élément représenté sur la page une présence remarquable – tronc d’arbre étêté, masure abandonnée, tapis de feuilles mortes, grillage recouvert de végétaux -, comme si nous étions nous aussi regardés par ce que nous observons.

Apparaissent des visages graves, des hommes, quelques femmes, gardiens mélancoliques d’un temple naturel ne livrant pas facilement ses secrets.   

©Alex Llovet

On ne pénètre pas ici comme l’on veut, même si tout semble d’abord disponible, ouvert.

Un chasseur apparaît, fixant le spectateur, fusil en main.

On pense aux sylvestres contes noirs de Stéphane Lavoué et Elie Monferier, fins connaisseurs des lois du sang en milieu paysan.

Un arbre s’est couché avec le crépuscule, racines à l’air, vulnérable.

©Alex Llovet

C’est le moment du merveilleux – séquence d’images oniriques de fleurs et ramures, prises au flash, dans l’obscurité.

Quelqu’un est venu ici, un ogre probablement, capable d’arracher d’un seul coup neuf jeunes arbres vigoureux.

©Alex Llovet

Alex Llovet photographie le mystère d’une forêt, ses blessures, marques d’anthropisation, rencontre de la nature et de la culture, beauté d’un couple d’amants sauvages vivant dans un camion auprès de leur chien.

Alternant portraits, photographies d’objets (voitures délaissées, téléphone hors d’âge, panneau d’information vide, chaussure oubliée, pots en plastique empilés, effondrés en tas comme des sales gosses dans la chamaille), vues de la nature et signes d’un bricolage existentiel s’inventant loin du cirque capitaliste, And into the forest I go établit avec une grâce non dénuée de puissance les coordonnées d’un monde sombre et généreux, fécond et en détresse, hospitalier et rétif.

©Alex Llovet

Apprendre à vivre, à survivre, à regarder en face l’effondrement, à se réinventer.

Retrouver notre âme, peut-être.

Alex Llovet, And into the forest I go (to lose my mind and find my soul), design Kentaro Terajima, Ediciones Posibles, 2024 – 500 copies

https://www.alexllovet.com/

©Alex Llovet

https://www.edicionesposibles.com/product-page/and-into-the-forest-i-go

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