Opening nights, par Todd Hido, photographe

©Todd Hido

« Je photographie comme un documentariste, mais je fais mes tirages comme un peintre. » (Todd Hido)

Il fait gris, froid, pluvieux, un temps à se pendre, ou chaud, trop chaud, d’un feu infernal, et le discours ambiant est comme de coutume nauséabond, mais, heureusement, Todd Hido est là, en exposition à Arles, et en livre, soit le formidable Intimate Distance II, monographie revisitée et augmentée du célèbre photographe américain – première édition chez Textuel en 2016.

Todd Hido, né en 1968 à Kent dans l’Ohio, ce sont des portraits superbes, inspirés par le cinéma, une sensualité omniprésente – qu’il s’agisse de regarder un corps ou un paysage -, des lumières de mélancolie témoignant pourtant d’une présence supérieure, aurique, d’une grâce, d’une possibilité de salut.

©Todd Hido

Sens du cadrage, sens du détail, sens de la flottaison des images formant une sorte de nef liquide posée sur la crête du temps, voilà Todd Hido, qui étudia avec Larry Sultan, photographiant de nuit et en couleur, en intérieur ou dehors, ne cessant de déplacer son art, vers les images trouvées, vers le grand format, vers sa propre famille avec un Instamatic 126 mm…

Son ami David Campany évoque ses débuts : « Je peux vous dire qu’il est venu à la photographie par amour du skateboard et des vélos BMX. »

L’Amérique des banlieues de la classe moyenne et des routes désertes vues par un skateur usant de son moyen de transport avec fluidité ? Oui, c’est à peu près cela.

©Todd Hido

Nous regardons les photogrammes d’un film dont ne connaissons ni le début, ni le milieu, ni la fin.

Les photographies de Todd Hido sont de l’ordre de la rémanence, l’artiste faisant émerger des images fonctionnant au cœur de l’inconscient comme des machines désirantes, exposant des signes évoquant toujours une sorte d’image manquante originelle.  

Tout est intime, il n’y a pas, au fond, de pure extériorité, mais une façon de tamiser ce que nous percevons du monde par le filtre de la vue, dans l’acuité des sens mis en mouvement.

Pas de précipitation, mais un regard qui ne cille pas, prend le temps d’absorber ce qu’il observe, un matelas posé contre une fenêtre, une jolie femme en culotte blanche étendue sur le ventre, les jambes tendues et écartées, tournant les yeux vers son contemplateur. 

©Todd Hido

Pas de drame mais une attente, une eschatologie informulée.

Que restera-t-il à la fin des temps ? à la fin de notre vie ? à la fin de la journée ?

Que pourraient être les prémices du paradis ?

La courbe d’une route de campagne, un dos nu, la douceur d’une caresse, l’espoir d’un baiser, la rencontre avec une solitude s’ouvrant à l’inconnu.

Nous errons, et, parfois, rarement, trouvons le lieu et la formule tant désirés, avant que de les perdre très vite et de les rechercher de nouveau.

Nous voyageons en nous comme à l’aveugle.

Nous tâtonnons, hagards, dans le corridor des jours.

©Todd Hido

Il y a des tas de neige sur la route, qu’éclaire faiblement un lampadaire isolé.

Impression de désert, de vide existentiel, de narrations coupées.

Des voitures sont garées près de pavillons aux fenêtres bleutées, la brume descend, il va falloir rentrer, mais où est véritablement notre demeure ? Dans le corps que nous habitons ? Dans le regard qui nous dévore ? Dans la chair que nous convoitons ?

L’Amérique est une maison photographiée la nuit où se déploie une vie énigmatique (les séries House Hunting, 2001, et Outskirts, 2002).

©Todd Hido

Que se passe-t-il ici ? Un crime ? Une cavalcade amoureuse ? Rien ?

On peut rouler toute la nuit jusque là-bas, de l’autre côté des collines, le paysage est le même, c’est-à-dire mental et désolé.

Des femmes se dévêtent, attendant d’être aimées, mais ce sont des fantasmes lynchiens, des fantômes de chair peut-être, ou des goules.

A travers les gouttelettes tombant sur le pare-brise de sa voiture, Todd Hido photographie des routes peuplées de poteaux électriques dans une sensation d’incommunicabilité.

©Todd Hido

Ses paysages sans présence humaine autre que celle d’un conducteur solitaire sont romantiques, le Wänderer du Winterreise de Schubert est un Américain égaré à la recherche de la femme qui le sauvera de lui-même.

Il y a une quête de sublime aux marges de la terreur dans l’œuvre de Todd Hido, qui est une recherche d’absolu par-delà la déréliction, l’abandon, la froidure.

Comment sortir du cinéma infini d’un pays avalé par ses propres représentations ?

L’obstination du photographe à contempler des visages angéliques est une interrogation sur la vérité des illusions.  

©Todd Hido

Temps suspendu, crue du fleuve, draps froissés.

Un chat nous regarde.

Des maisons.

Des images d’enfance.

Des pièces vides.

Une chevelure blonde.

Un tableau d’Edward Hopper.

Todd Hido, Intimate Distance II, introduction de David Campany, textes de Katya Tyvelich, éditrice Denise Wolff, graphiste Bob Aufuldish, Aufuldish & Warinner, fabrication Nicole Moulaison, Editions Textuel, 2025

©Todd Hido

https://www.editionstextuel.com/livre/intimate_distance_ii

http://www.toddhido.com/

Expositions aux Rencontres d’Arles, Espace Van Gogh, du 7 juillet au 5 octobre 2025

©Todd Hido

https://www.rencontres-arles.com/fr/expositions/view/1620/todd-hido

https://www.leslibraires.fr/livre/24430915-intimate-distance-ii-todd-hido-textuel?affiliate=intervalle

©Todd Hido

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