
©Yuksek
Après Beirutopia, de Randa Mirza, les éditions Le Bec en l’air (Fabienne Pavia) consacrent à la ville phénix un second livre, Beirut ma bet mout, du producteur, DJ et musicien internationalement reconnu Yuksek.
Beyrouth est un mythe, Beyrouth ne meurt pas, Beyrouth renaît de ses cendres.
Malgré les guerres, la banqueroute, la gabegie.
Fuite des élites, solidarité des misérables, attente, reconstruction.
Beirut ma bet mout est d’abord le titre donné à un morceau inscrit dans une compilation musicale pensée comme soutien aux habitants éprouvés par l’explosion du port, le 4 août 2020.

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Muni de son appareil photo, l’artiste habitué des clubs de la capitale offre de la ville résiliente et de son pays qu’il arpente en tous sens un portrait vivant, dynamique, particulièrement multiple, construisant essentiellement son ouvrage selon le principe finement dialectique des diptyques.
Yuksek mixe, associe, monte des images donnant la sensation d’un flux énergétique parcourant rues et rivages.
Il y a quelquefois du décalage, comme un rien de drôlerie alors que tout pourrait n’être que dramatique.

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L’artiste ne s’apitoie pas, pas le temps pour ça, quand il faut rebâtir, redonner du sens, rythmer une nouvelle fois le quotidien.
On communique, on est seul comme un arbre dans la brume, on attend en regardant l’horizon, on agit.
Les corps sont ceux d’aujourd’hui et d’autrefois, il n’y a pas de séparation, mais une unique vie diffractée en autant de personnages et de paysages.
Un ange sculpté attend derrière une grille en fer, on apporte de l’essence quelque part dans une échoppe, tout ira bien, Dieu est là.

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Il y a des croix partout, certes parfois incomplètes quand il s’agit uniquement des piliers de poteaux électriques attendant l’ajout de leurs ailes spirituelles.
Que l’on soit en fauteuil roulant, assis sur un pont, protégé de la pluie, ou travailleur debout, musclé, bronzé, nettoyeur de piscine.
We are one, écrivent les enfants à l’école.
Plus de cash, mais du trafic automobile.
Embouteillages et camions vides, que mangera-t-on demain ?

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Des nonnes et des minarets.
Des corbillards et des plongeurs.
Des sièges en plastique et des banquettes en cuir.
Yuksek est attentif aux formes de sa ville, à la façon dont les habitants occupent l’espace, à la forme des bâtiments, aux couleurs.
Le boulanger converse avec la dame aux chats, et l’enfant mangeant des Chips Loulou.
Le dialogue est parfois absurde, amusant ou impossible.
Mieux vaut dormir un peu quand l’accablement est trop fort, aller prendre le frais dans les montagnes, ou pêcher.

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Dans un très beau texte concluant le livre, Erwan Desplanques écrit : « De Gemmayzé aux quartiers arméniens, de Baalbek aux stations balnéaires décaties du littoral, Yuksek archive ce qui résiste aux assauts et survit à la désillusion. Il travaille à la lisière, capte depuis l’habitacle [de sa Dacia de location] ce qui résonne avec sa mélancolie, raconte les fêtes et les guerres achevées, l’émergence d’une vaste pagaille urbaine, chantier permanent où l’on ne distingue plus ce qui vient d’être détruit de ce qui est en passe d’être édifié. »

Yuksek, Beirut ma bet mout, texte Erwan Desplanques, édition Fabienne Pavia et Yuksek, Le Bec en l’air, 2024, 80 pages
https://www.becair.com/produit/beirut-ma-bet-mout/
https://www.instagram.com/yuksekofficial/?hl=fr

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Livre accompagnant l’exposition éponyme présentée à la chapelle du Couvent des Andettes, à Aix-en-Provence, du 21 septembre au 12 octobre 2024