L’esperanto de la périphérie, par Thomas Klotz, photographe

©Thomas Klotz, courtesy galerie Clémentine de la Féronnière

Se présentant sous belle couverture entoilée jaune pâle comprenant marquage à chaud et image collée, Periferia, de Thomas Klotz, est un livre de grande beauté consacré aux zones liminaires des villes.

Aucun misérabilisme, pas de pathos ou d’effroi, mais du mystère, de l’étrange, la puissance de l’ordinaire.

Par le choix de l’utilisation de la chambre et l’attention portée aux couleurs, cette série pouvant s’inscrire dans la continuation de la pensée des New Topographics s’éloigne des regards sociologiques ou politiques sur les espaces périurbains.

©Thomas Klotz, courtesy galerie Clémentine de la Féronnière

Il faut se reporter à la fin du livre pour savoir de quels lieux rendent compte les cinquante-six photographies du livre – en Argentine, France, Grèce, Etats-Unis, Pays-Bas, Pologne, Bosnie-Herzégovine, Belgique -, mais au fond peu importe, celles-ci formant une sorte de vaste ensemble ayant valeur d’universalité.

Des chiens errent, tout est posé dans le cadre comme dans un rêve éveillé, ou un plan de cinéma relevant du paradigme de l’image-temps deleuzien.

©Thomas Klotz, courtesy galerie Clémentine de la Féronnière

On pense aux nouvelles de John Cheever pour la littérature, et aux travaux photographiques de Gregory Crewdson ou Todd Hido pour l’impression d’impeccable mise en scène induisant d’énigmatiques microfictions.

Chaque photographie est un monde demandant un temps d’arrêt, afin d’accueillir en soi, avec le plus de résonnance possible, les territoires, les situations, le langage muet des choses observés par l’artiste.  

Le vide est plein, la chambre photographique est aussi chambre d’échos, filet de perceptions, tamis génial offert aux détails prenant soudainement vie.

©Thomas Klotz, courtesy galerie Clémentine de la Féronnière

Il y a de l’attente et de la drôlerie, une merveille du banal, et des incongruités qui suscitent l’interrogation, ainsi un superbe ananas posé hiératiquement sur le capos d’une voiture immaculée de blanc – les sémiologues, professionnels ou en herbe, s’en amuseront.

Une femme pose nue, visage grave, sur un lit aux draps froissés.

Sommes-nous dans quelque motel archétypique avant une scène de crime ?

Est-il temps de se quitter après l’exultation des corps ?

L’ennui vient-il après l’amour ?

David Lynch est-il ressuscité ?

Alternant portraits de personnages – comme les figurants de leur propre vie -, et vues de paysages, Periferia est un livre sur la suspension du temps, et probablement une forme d’incommunicabilité ontologique.  

©Thomas Klotz, courtesy galerie Clémentine de la Féronnière

Rigueur des cadrages, œil ouvert, bouche close, sensation d’humanité endeuillée, mélancolie.

Peut-être sommes en ces zones intermédiaires où les âmes attendent d’être jugées.

Stase et départ, voitures et surplace, enfermement psychique et divertissements impossibles, malgré les propositions – bowling, bars, drapeaux multicolores de fête foraine.

Nous tournons sans fin dans la nuit et sommes dévorés par le feu, ou par le rien.

Feu de branchage, zone pavillonnaire, électricité dans l’air, arc-en-ciel, déprime, couleurs froides.

©Thomas Klotz, courtesy galerie Clémentine de la Féronnière

On se promène dans un décor, les pulsions sont contenues, il y a quelque chose de la parousie en chaque photographie.

Nature aime à se cacher, comme l’écrit Héraclite.

Thomas Klotz ne lève pas les voiles, son livre n’est littéralement pas une apo-calypse, mais le spectacle calme de nos environnements quotidiens.

Gazon synthétique, parkings, allers-retours entre des intérieurs qui pourraient être quelquefois des extérieurs, et des extérieurs des intérieurs, comme des maquettes pour figurines en plastique à déplacer du bout des doigts.

©Thomas Klotz, courtesy galerie Clémentine de la Féronnière

Cercles concentriques, corniches dantesques, existences contemporaines.

Savons-nous, chers amis, quand nous sommes réellement en vie ?   

Thomas Klotz, Periferia, textes Damarice Amao, Thomas Klotz, Abel Quentin, design photographique Agnès Dahan Studio, relecture Mélanie Stoll, photogravure Daniel Regard, Maison CF | Clémentine de la Féronnière, 2025

https://maisoncf.fr/fr/products/periferia/?Title=Default+Title

Exposition à la galerie Clémentine de la Féronnière (Paris), du 4 septembre au 8 octobre 2025

©Thomas Klotz, courtesy galerie Clémentine de la Féronnière

https://www.galerieclementinedelaferonniere.fr/fr/exhibitions/56-periferia-thomas-klotz/

Periferia est le quatrième livre de Thomas Klotz

Laisser un commentaire