
©Alexandre de Mortemart
« Et partout les murs sont surchargés d’affiches déchirées comme un palimpseste monstrueux qui exhibe, derrière ses cicatrices, les traces de l’histoire récente. » (Pascal Bruckner)
Une affiche indienne délavée devenue couverture entoilée d’un livre d’Alexandre de Mortemart publié par Trans Photographic Press.
Le visage aux yeux envoûtants d’une belle actrice de Bollywood cherchant à troubler son spectateur.
La force poétique du noir et blanc.

©Alexandre de Mortemart
Ainsi se présente Mystical, portrait de la capitale du Bengale, où la surréalité ordinaire n’est qu’une des modalités du présent.
Si les sociétés s’effondrent lorsqu’elles perdent leur part de sacré, Calcutta, où la puissance de l’invisible semble tenir l’ensemble de l’édifice social, est un summum de civilisation.
Dans son désordre apparent, cette ville à l’énergie unique est au contraire d’une organisation parfaite, parce que les âmes y sont liées.

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Les statues sont vivantes, les vivants se statufient, les objets nous sourient, ironiques, nous voyant probablement déjà comme des cadavres ambulants.
Calcutta est une ville étonnante, surprenante, follement syncrétique.
« Derrière la charge d’un porteur d’ordures, écrit encore le philosophe Pascal Bruckner dans un très beau texte placé en préface, apparaît une statue de Vivekananda, le Grand Synthétiseur qui influença Freud, correspondit avec Romain Rolland. Disciple de Ramakrishna dont les ashrams parsèment la ville, il fut un franc-maçon, un rénovateur de l’hindouisme et un indépendantiste acharné qui mourut jeune à trente-neuf ans. »

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Ici, le pli baroque tel qu’analysé, dans un autre contexte, par Gilles Deleuze chez Leibnitz, n’est pas qu’une esthétique, c’est un mode de vie et de pensée.
C’est le delta du Gange, des enchevêtrements d’êtres humains, de pierres, de végétaux et d’eau.
Mystical observe des signes, des géométries complexes, des visages âpres, graves ou cachés.
Il y a de la chiromancie pariétale dans l’air, et une façon de ramasser dans la rue des pans d’indocilité.

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Etendue sur le sol, à deux pas des poissons morts allongés sur une feuille de bananier – le diptyque est saisissant -, la déesse Kali, jambes ouvertes, araignée de mer improbable, a perdu deux bras.
Arrive un dévot de quelque rite intense habillé d’une peau de léopard et portant sceptre.
Un chiffonnier passe devant quelque inscription rédigée en sanskrit.

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Alexandre de Mortemart écrit littéralement avec la lumière, ses noirs sont intenses, préservant en chaque image une part profonde de mystère.
Le fantastique est permanent, des draps formant fantôme, un squelette jouant de la guitare, des oiseaux sombres tels des messagers psychopompes apparaissant régulièrement pour ponctuer le livre et rappeler, si jamais, que nous sommes mortels.
Qui dort ?
Qui est éveillé ?
Vivre dans la notion du dorveille médiéval.

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Calcutta est syncrétique : portrait de Che Guevara et femme en sari, hijras et travestis, mannequins de bois et éléphants parcheminés.
Le temple est partout, il n’a pas d’extériorité, c’est l’entièreté d’une ville déroutant ses découvreurs.
On porte le poids de son destin, on attend, on traverse l’existence en passager semi-clandestin.
Mystical est de dimension carnavalesque, qui est l’une des possibilités du sacré.
Vaches, chiens, chevaux, entrelacs de poupées défuntes, abandonnées, remisées.
Détritus, fagots, ruines.
Douceur, sensualité, piété.

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Hospitalité.
Indifférence.
Communion.
Vivant une partie de l’année à Calcutta, Alexandre de Mortemart a fait de cette ville fascinante son double étrange, comme une interrogation permanente jetée sur la solidité de ce que nous croyons être notre moi.

Alexandre de Mortemart, Mystical, textes (français/anglais) de Pascal Bruckner, graphic design Dominique Gaessler, tirages Guillaume et Chloé Geneste, Trans Photographic Press, 2025, 176 pages
https://www.transphotographic.com/produit/mystical-dalexandre-de-mortemart/

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https://alexandredemortemart.com/

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