Du devenir autoritaire, par Theodor W. Adorno, philosophe

Nous ne sommes pas les derniers, 1970, Zoran Music

« J’estime que le travail à effectuer doit bien plutôt commencer par le sujet, c’est-à-dire que tout tient à ce que nous apprenions, et ce, dès les premières phases du développement de la petite enfance, à rendre les êtres humains si libres et en même temps si fortifiés en eux-mêmes qu’ils soient capables de faire des expériences spécifiques. » (Theodor W. Adorno)

Pour comprendre le phénomène de la construction d’une personnalité autoritaire, on peut lire la nouvelle L’Enfance d’un chef (publiée dans le recueil Le Mur, 1939) de Jean-Paul Sartre, et voir Le ruban blanc (2009), de Michael Haneke, où la transmission de la violence dans le cadre familial et éducatif mène à un processus de dépersonnalisation.

Discipliner, corriger, se rigidifier, se cadavériser, rejeter l’altérité, brutaliser.   

On peut lire aussi Désir autoritaire, de Theodor W. Adorno (1903-1969), qui est la reprise d’une conférence prononcée en 1960, alors que le chercheur s’inquiète de la résurgence de l’antisémitisme en RFA et du potentiel fasciste dans la société nord-américaine.

L’éminent représentant de l’Ecole de Francfort s’interroge, psychanalyse à l’appui – Wilhem Reich et Eric Fromm ont été médités – sur le désir de soumission à la force et le refoulement de l’esprit critique.

Dans la psychogénèse de l’individu autoritaire, le rôle du père, sa froideur, sa façade émotionnelle vitrifiée, est pointé.    

On se sacrifie pour la nation, on espère trouver ainsi le corps que l’on n’a pas, on se donne à la mort.

On s’inflige en essayant de la légitimer la violence que l’on a reçue par ses pairs, on l’intériorise, et on la transmet à son entourage.  

Anna Freud, rappelle Adorno, a pensé le mécanisme d’identification à l’agresseur, les énergies pulsionnelles que l’on doit réprimer étant en quelque sorte justifiées par une soumission, ambivalente, au chef.

On s’identifie au pouvoir, on devient l’un des moments de la destruction, on bâtit le Troisième Reich, on prône la peine de mort (Caryl Cheesman vient d’être exécuté dans la chambre à gaz de la prison de San Quentin, en Californie).

On valorise les préjugés, bien évidemment non considérés comme tels, on clive, on pense par antagonismes, de façon binaire.

Rigidité, endurcissement, jugements pathogènes, et possiblement criminels.    

Les caractères réifiés réifient autour d’eux.

Comme l’affirme Adorno, ils absolutisent leur propre subjectivité.

Il n’y a plus de singularités, il y a des stéréotypes : les juifs sont ainsi, et les Français, les noirs en Amérique, etc.

L’idée de nation se bâtit sur un narcissisme collectif, qui est une défense contre l’altérité, et un écrasement des différences.

On peut reprendre ici l’oeuvre de René Girard.

« On transfère sur les autres, poursuit le sociologue, les autres à qui on les reproche, n’importe quelle impulsion que l’on refoule en soi ou, en tout cas, que l’on ne s’avoue pas à soi-même, que ce soit pour des raisons morales internes, donc en raison de la censure du surmoi, ou à cause de conventions externes. Cette projectivité est un mécanisme fondamental du caractère attaché à l’autorité, tout à fait semblable à celui à l’œuvre dans une forme déterminée de maladie mentale, c’est-à-dire la paranoïa – car on peut sans doute affirmer l’existence de très fortes relations structurelles entre le caractère attaché à l’autorité et le paranoïaque. »

Goût du pouvoir, agressivité, conscience anéantie, au point qu’un nazi puisse considérer les humains qu’il martyrise uniquement comme des pièces (Stücke).

Gloire désolante des Directions des Ressources Humaines.

On peut reprendre Désir autoritaire pour penser le succès actuel, de dimension française et mondiale, du nouvel extrémisme de droite.

Il faut des outils.

Theodor W. Adorno, Désir autoritaire, traduit de l’allemand, annoté et postfacé par Marie-Andrée Ricard, préface de Johann Chapoutot, Editions Rue d’Ulm, 2025, 144 pages

https://presses.ens.psl.eu/d%C3%A9sir-autoritaire.html

https://www.leslibraires.fr/livre/25158358-desir-autoritaire-theodor-w-adorno-rue-d-ulm?affiliate=intervalle

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  1. Avatar de Marie Marie dit :

    le roman graphique de Johann Chapoutot Libres d’obéir se rapproche-t-il de cela.

    ou la dernière publication de Richard Malka chez Grasset.

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