Reconnu pour son travail de reporter sur la société française, la culture populaire, les lieux de conflits et de pouvoir, le photographe Ulrich Lebeuf, membre de l’agence MYOP depuis dix ans, livre avec Tropique du cancer un travail intime relevant de la fascination pour le corps et le visage de sa muse.
Auteur d’une superbe série sur les corps tatoués (Blue Bloods), Ulrich Lebeuf est un portraitiste doué, aussi bien lorsqu’il regarde des célébrités (Patti Smith, Marc Lavoine, Romain Duris) que des anonymes rencontrés dans la Somme (La vallée des oubliés) ou au Sénégal (Dakar la nuit).
Portraits fragmentés d’une belle égotiste brune, en culotte, avec ou sans soutien-gorge, mais toujours louve trop lointaine pour se satisfaire de la capture d’une seule image, Tropique du cancer est une œuvre très arty (choix du papier, clichés parfois surexposés, jeux de filtres, grattages, bords du cadre de l’image passés au feu), où la sensualité du modèle éclate en petits formats ou pleines pages, dans le pétillement de bulles chimiques, champagne d’une texture photographique, dentelles ou craquelures, inscrivant sa matérialité arachnéenne à même la peau de sa partenaire.
Allongée, alanguie, en mauve ou noir, cigarette négligemment tenue, fleur noire à l’épiderme très blanc, mirettes à la Juliette Berto ou Nico, cette moderne Terpsichore fait danser les yeux et les sens du spectateur rêvant de la rencontrer un soir de cocktails forts.
Dans Tropique du cancer (parallèle 23° 26’ 14’’), publié en 1934 à Paris (en 1961 aux Etats-Unis, où il sera immédiatement poursuivi pour obscénité), Henry Miller, l’auteur des trois tomes de La Crucifixion en rose (Sexus, Plexus, Nexus) fait de l’écriture du sexe un art en soi, multipliant les morceaux de bravoure à la façon des maîtres du sublime, tentant ainsi de repousser la mort en la battant sur son propre terrain de l’extase ultime.
Partageant avec l’hédoniste de Big Sur l’ambition de célébrer la vie par-delà « le cancer du temps », qui à l’instar d’Ugolin dévore ses enfants, Ulrich Lebeuf, certes beaucoup plus sagement, imagine en un ensemble d’images très séduisantes une parade, qui est une pavane pour une infante femme enfant à la chevelure de jais, telle une troublante rêverie rock et sauvage.

Ulrich Lebeuf, Tropique du cancer, textes d’Alexandre Kauffmann, éditions Charlotte sometimes, 2016
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