
Jean-Pierre Vallotton est un écrivain d’exception, fidèle à cette émotion appelée poésie, dont il a fait de chaque instant sa vie, sans tricherie.
Attentive à la parole qui vient, comme on reçoit un don, son ambition poétique est de l’ordre d’une nécessité intime, à la fois inquiète et enthousiaste face aux mystères et miroitements du vivant.
Egalement traducteur, Jean-Pierre Vallotton ne conçoit l’écriture que dans l’amitié des voix, prolongées, détourées, détournées, des auteurs innombrables qu’il n’a cessé de lire ou fréquenter.
Armé d’un savoir donnant le vertige, il est aussi ce vulnérable écrivant des poèmes comme on jette des filins d’arrimage.
Merci pour les mots qui suivent.
Au rendez-vous des absents donne l’impression d’une remontée vers la naissance. Comment concevez-vous le temps ?
Tout d’abord, je dois dire que j’ai très vite choisi un mode de vie dans lequel le temps serait différent du temps des autres. Qu’est-ce à dire ? Le temps de la création n’est pas celui du dehors. J’ai souvent eu l’impression de vivre en dehors du temps. J’ai publié, dans « Les enfants du sommeil », un texte intitulé « Tous les âges ». On peut y lire ceci : « Toujours naissant, toujours mourant, j’ai tous les âges en chaque instant ». Je pourrais dire aussi avec Baudelaire : « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans ». J’ai parfois l’impression de vivre comme Claude Ridder (incarné magnifiquement à l’écran par Claude Rich) dans le film, peu connu, de Resnais et Sternberg, « Je t’aime, je t’aime » : Ridder, qui vient de se remettre d’une tentative de suicide, accepte de participer à une expérience scientifique pouvant se révéler fatale, car il s’agit de le renvoyer à une minute précise de son passé. Ridder accepte, mais la machine à remonter le temps se détraque, et il se voit balader aux quatre coins de son existence passée, avec parfois des retours répétitifs vers tel moment précis.
La poésie de Paul Eluard a-t-elle été déterminante pour vous ? Qui sont vos poètes nourriciers ?
L’œuvre d’Eluard recèle quelques-uns des plus beaux poèmes français du XXe siècle, notamment dans les recueils douloureux qui font suite au décès de Nusch (« Vingt-huit novembre mil neuf cent quarante-six // Nous ne vieillirons pas ensemble. // Voici le jour // En trop : le temps déborde. // Mon amour si léger prend le poids d’un supplice » — rarement poète a su exprimer l’intolérable en si peu de mots, avec une telle force). De même dans les deux derniers recueils, marquant la renaissance à la vie grâce à la rencontre de sa nouvelle compagne, Dominique (« La nuit n’est jamais complète / Il y a toujours puisque je le dis / Puisque je l’affirme / Au bout du chagrin une fenêtre ouverte / Une fenêtre éclairée (…) »). J’ai eu longtemps accrochée au mur de ma chambre une photo où le poète, le visage dans la pénombre, pose tendrement sa main sur le front de Dominique dont la tête repose sur ses genoux. Toutefois, je n’ai pas le sentiment que son œuvre m’ait particulièrement influencé.
Quant à mes poètes nourriciers, il faudrait un livre entier pour leur rendre hommage ! Pour l’un d’entre eux que je vais citer, ce sont dix autres que je n’aurai pas nommés.
Pour revenir aux sources, tout a commencé (comme la littérature elle-même) par la transmission orale.

Mon grand-père me racontait des épisodes de la Bible et des Misérables, ou encore les Fables de La Fontaine. Je me rappelle aussi un été à la montagne où je lui demandais sans cesse de me relire « La fille du meunier », des frères Grimm, dans la collection « Petits livres d’or ». De quelle adorable patience il fit preuve ! Ma chère tante et marraine me lisait avec talent et conviction des contes de fées qui me ravissaient. Quant à ma mère, elle m’a lu, durant un temps, pour m’endormir, les contes de Perrault dans leur texte original. Quand elle en est arrivée à Barbe-Bleue, horrifiée elle-même par le texte qu’elle découvrait, elle voulut en rester là. Mais non, c’était trop tard, je brûlais de connaître la suite. J’en fus quitte pour quelques cauchemars.
Le premier écrivain pour lequel je me suis passionné a été Hans Christian Andersen. Je courais d’une bibliothèque à une autre pour découvrir ne serait-ce qu’un conte non encore lu dans telle anthologie. Jusqu’à ce que mes grands-parents me fassent présent pour Noël de l’édition intégrale des contes au Mercure de France, dans la traduction de P. G. La Chesnais : quatre volumes reliés en mauve sous coffret. Je les ai toujours, bien évidemment. « La reine des neiges », « La petite fille aux allumettes », « La clef du portail », quelles pures merveilles ! Depuis la lecture de ce dernier conte, je n’ai pu me résoudre à écrire le mot clef autrement qu’avec son f final. Certains titres sont à eux seuls tout un poème, ainsi de « Les feux follets sont dans la ville, dit la brasseuse du marais ». Je garderai toujours une profonde tendresse pour le grand poète danois.

Puis ce fut Lewis Carroll qui me fit littéralement basculer dans un autre univers. Son œuvre reste d’une singularité étonnante, inclassable. Il y a dans la narration de ses romans des procédés, de fondu-enchaîné notamment, qui sont proprement d’ordre cinématographique. J’ai la chance de posséder plusieurs de ses livres en édition originale. La lecture de sa correspondance (choisie, car il aurait écrit plus de 100.000 lettres !) m’enchante.
L’ombre d’Edgar Poe m’a également effleuré, mais il m’a fallu encore bien des années pour comprendre qu’il était de ma famille.
La lecture d’« Aurélia » et des « Filles du feu » de Nerval m’a révélé (si je ne le savais déjà) que « Le Rêve est une seconde vie. »
C’est grâce à la collection Marabout que je découvris un nouveau continent : le fantastique, avec, pour commencer, trois auteurs majeurs : Jean Ray, Thomas Owen et Claude Seignolle. Avec ce dernier, j’ai entrepris ma première correspondance avec un écrivain. Imaginez l’émotion du jeune homme de 15 ans qui recevait des livres dédicacés d’un auteur qu’il admirait, et qui lui écrivait notamment : « Ce qui est certain, c’est notre communauté d’âme. Votre choix, votre enthousiasme, vos fautes d’orthographe, voilà bien des points communs. J’étais comme ça à votre âge. (…) Vous le voyez, nous fraternisons en tous points. (…) A vous de tout cœur. »
Une année plus tard, il m’accueillait chez lui, à Paris, Cité Vaneau. Une soirée que je ne suis pas prêt d’oublier. Quand j’ai commencé à publier, j’ai été très fier de pouvoir à mon tour lui envoyer des livres dédicacés. Ainsi sommes-nous toujours restés en contact. Dire qu’il soufflera ses cent bougies en juin 2017 !
J’ai eu aussi la chance de connaître un peu le maître de l’étrange belge, Thomas Owen. Il a eu la gentillesse de me recevoir chez lui, à Schaerbeek, et m’a adressé quelques lettres élogieuses que je garde précieusement.
Mes rencontres avec l’univers de Michaux et celui d’Artaud ont été des chocs dont je ressens encore les répercussions souterraines.
L’espagnol est pour moi une langue idéale pour la poésie. Entendre des poètes hispanophones lire leurs œuvres a toujours été pour moi un privilège. Depuis que j’ai étudié l’espagnol, j’ai plaisir à lire à voix haute les poèmes de Góngora, Lorca, César Vallejo ou Alejandra Pizarnik, parmi bien d’autres.
Mais les œuvres les plus poétiques que j’ai lues ne sont pas forcément des poèmes.
Marcel Béalu (auteur de l’une des œuvres en prose les belles et les plus méconnues de la littérature française de XXe siècle), à qui je rendais régulièrement visite dans sa librairie parisienne « Le pont traversé », m’a raconté qu’aux poètes inconnus qui venaient lui proposer des poèmes pour sa revue « Réalités secrètes » il répondait : « Et si vous nous confiiez d’abord une ou deux pages de prose poétique ?». Et la plupart du temps, son interlocuteur s’enfuyait en courant.
Dans le domaine de la prose poétique, je me dois de citer une rencontre capitale, celle de l’œuvre de Georges Limbour : en seulement quatre romans et deux recueils de contes et récits, il a créé un univers très personnel et singulier. J’ai été fasciné par sa personnalité et sa capacité à exprimer des sentiments qui s’approchent de l’indicible. Je suis même allé rencontrer son neveu à La Martinique.
Les contes poétiques de Marcel Schneider (qui m’écrivait dans une lettre : « Vous ouvrez des portes secrètes sur des chambres où règne un silence inquiétant. Ce que vous taisez est plus redoutable que vos aveux. C’est le contrat que nous passons avec les Puissances qu’il ne faut pas nommer », Noël Devaulx, Marcel Brion ou André Bay sont de pures merveilles.
Je relis régulièrement les romans sans équivalents de Pierre Jean Jouve.
Ou encore la prose de Julien Gracq, Georges Henein, Marcel Lecomte, Mandiargues, André Hardellet — autant d’écrivains secrets sur le territoire mouvant desquels j’aime à m’aventurer.
Un autre domaine, encore moins connu, dans lequel les poètes français ont excellé, est le théâtre. Ces volumes occupent de nombreux rayons de ma bibliothèque. Si l’on connaît (mais si mal !) les pièces flamboyantes d’Audiberti (il en a écrit une trentaine, dont trois ou quatre seulement sont jouées ici ou là) et de Schehadé, celles cocasses et inventives d’Obaldia, qui a lu les nombreuses pièces de Georges Neveux ou d’André Obey (entre parenthèses, il me paraît évident que la merveilleuse Ondine de Giraudoux doit beaucoup à la Loire d’Obey) ? Celles de Maeterlinck (il n’y pas que Pelléas !), Crommelynck et Ghelderode ? Miguel Mañara de Milosz est un chef-d’œuvre. Les surréalistes n’ont pas été en reste — citons, entre autres, Le loup-garou, de Vitrac, Le bourreau du Pérou, de Ribemont-Dessaignes, La forêt sacrilège, de Jean-Pierre Duprey. Il y a là tout un continent poétique à découvrir. Si seulement les metteurs en scène avaient un peu plus d’imagination… ou de culture !
Il faudrait aussi parler de la chanson poétique, qui a tenu une place importante dans ma vie, mais cela nous entraînerait trop loin…
Nous nous sommes rencontrés à l’occasion d’une discussion sur le poète suisse Olivier Perrelet. En quoi vous touche-t-il ?
Effectivement, c’est grâce à une belle chronique que vous avez consacrée à ce poète sur votre blog que j’ai eu le plaisir, par courriels interposés, d’entrer en contact avec vous, cher Fabien Ribery.
Olivier Perrelet est, à mon sens, l’un des meilleurs poètes suisses actuels, et qui n’est certainement pas reconnu à sa juste valeur. Il est également l’auteur d’une œuvre en prose qui n’a pas d’équivalent en Suisse romande (sauf peut-être S. Corinna Bille) : des contes et récits baroques, à l’écriture acérée, teintés de fantastique et d’érotisme, notamment « Les petites filles criminelles » (qu’avait préfacé Mandiargues), « Bautta de brume » ou « Le dieu mouvant ».

En quoi la thématique de la prison vous concerne-t-elle particulièrement ?
Ce n’est pas à proprement parler une thématique importante de mes écrits, mais il se trouve que j’ai connu une expérience concrète de la prison. J’ai été objecteur de conscience dans un pays qui, à l’époque (1974), ne les acceptait pas. Entre parenthèses, ce pays prétendument neutre ne se gênait pas pour vendre des armes à des pays belligérants. Pour vous donner une idée de la situation en Suisse à ce moment-là, il faut savoir que toute personne (uniquement les hommes en fait, les femmes n’ayant obtenu le droit de vote au niveau national qu’en 1971 !) désireuse d’accéder à un poste important dans les milieux de la finance, du commerce, etc., se devait d’avoir obtenu un grade d’officier à l’armée (c’était en quelque sorte « la Suisse des colonels » !) Un objecteur de conscience était considéré comme un traître à la patrie et devait donc être sanctionné sévèrement. Le service civil n’existait pas. Tout citoyen mâle devait accomplir 4 mois de régiment à l’âge de vingt ans, puis trois semaines chaque année, jusqu’à ses 50 ans. Il s’agit donc d’une armée de milice. Encore aujourd’hui, chaque soldat suisse conserve son arme à la maison.
J’ai tout d’abord déposé une demande pour être incorporé comme soldat non armé, ce qui m’a été refusé (c’était du reste quasiment systématique). La mort dans l’âme, j’ai donc effectué mes quatre mois de régiment.
L’année suivante, quand j’ai été appelé à faire mes trois semaines annuelles, je me suis dit que je ne pourrais pas tirer ce boulet toute ma vie et ai donc décidé d’objecter.
Mon procès militaire a été assez particulier. Je me suis défendu en tant que poète. Mon avocat et le procureur échangeaient des citations de René Char et de Virgile ! Le jury semblait complètement dépassé. Je savais risquer une peine pouvant aller jusqu’à 18 mois d’emprisonnement. En fait, c’est le témoignage de mon professeur de philosophie de l’époque, André Contesse, qui a été déterminant : il a réussi à faire comprendre que même si, par honnêteté, je ne me réclamais pas du christianisme, mes valeurs morales en étaient proches. Ma condamnation fut donc modérée : quatre mois de prison. J’y ai été moins malheureux qu’à la caserne ! Cette prison était un ancien couvent et ma geôle, minuscule, était une vraie cellule monacale. La nuit, après l’extinction des feux, j’écrivais de longues lettres à la lueur d’une bougie.
J’aime à penser que cette résistance qu’ont opposée les objecteurs suisses pendant des décennies n’a pas été inutile, puisque depuis 1996 les jeunes gens ont la possibilité d’opter pour un service civil.
Vous avez participé à de nombreuses revues de poésie. Quelle serait pour vous aujourd’hui la revue idéale ?
Effectivement, jusqu’à récemment, c’était quasiment un passage obligé que d’être publié en revues avant d’accéder à l’édition d’un recueil ou d’une plaquette. J’ai aimé cela : voir mes poèmes imprimés pour la première fois, après en avoir corrigé les épreuves, avec un voisinage toujours différent, passant d’une modeste revue à une autre, plus prestigieuse, comme la NRF ou Europe. J’ai été très fier aussi d’être traduit dans de nombreuses revues à travers le monde. Aujourd’hui, je ne sais pas, il y en a beaucoup moins. C’est plutôt sur la Toile que ces choses se passent.
La revue idéale serait sûrement, pour moi, celle qui publierait aussi bien des inconnus prometteurs que des talents confirmés ; des poètes francophones et des poètes étrangers dont on donnerait le texte original et sa traduction. Les plasticiens pourraient également intervenir au fil des pages. En fait, cette revue existe : elle s’appelle Arpa et est publiée depuis quarante ans à Clermont-Ferrand par les soins du poète Gérard Bocholier !
Vous écrivez dans Au rendez-vous des absents : « « Aujourd’hui, au seuil de la vieillesse, revenu de tout, épuisé par tant de tumultueuses chevauchées, pas plus avancé qu’au premier jour, je me prosterne devant mon ange gardien, le suppliant de me révéler le fin mot de toute cette comédie. » La réponse est-elle dans les livres ?
C’est l’ambiguïté qui fait tout le sel du poème en prose que vous citez, « Erreur de jeunesse » (c’est lui qui clôt le livre). Je ne vous en dirai donc pas plus à ce propos.
« T’avoir marquée, sauvage, les dents contre ton sein, comme on mord un citron. Trois épées dans la nuit transperçaient ton regard, fontaine abasourdie, étincelles du non. » sont les mots qui inaugurent « Aestatis memoria » du recueil Le corps inhabitable. Quel lien faites-vous entre l’érotisme et la violence ?
J’ai à peine effleuré l’œuvre du Marquis. Bataille et Klossowski m’ennuient. Robbe-Grillet met en scène des phantasmes plutôt amusants (mais son dernier livre était scellé en librairie : qu’il le reste !) Mandiargues fait tout passer grâce à son immense talent (sauf dans « L’Anglais décrit… » que je n’ai pas pu terminer). Le poème de moi que vous citez ne me paraît pas bien méchant. Les épées sont ici d’ordre métaphorique.

Vous vivez à Lausanne. Que signifie être vaudois pour vous ?
Pas grand-chose.
Qui était Pierrette Micheloud ? Vous êtes le président du jury des prix littéraires qui portent son nom.
Pierrette Micheloud était une artiste d’origine valaisanne qui s’est installée à Paris au début des années 1950, tout en revenant régulièrement en Suisse. Elle a durant de nombreuses années parcouru les vallées du Valais à bicyclette, s’arrêtant de village en village pour y lire ses poèmes.
Elle a publié une trentaine de livres (prose et poèmes) et organisé une dizaine d’expositions, en Suisse comme à Paris, de ses tableaux, aquarelles et dessins.
Au printemps de 1991, c’est notre ami commun, le grand poète Marc Alyn, qui a permis notre rencontre, en nous invitant tous deux à venir commémorer par une conférence le centième anniversaire de la mort de Rimbaud, au Château de Lascours, dans le Gard. Je connaissais déjà sa poésie. Nous avons vite sympathisé, puis nous sommes revus régulièrement, à Paris, chez moi, chez sa sœur à Lausanne, à Belmont (leur maison de vacances) ou encore à la Biennale de Liège où nous avons été tous deux invités. Notre amitié s’est approfondie au fil des ans et nous nous sommes découvert bien des affinités. Quand elle est décédée, en novembre 2007, j’ai perdu ma meilleure amie. Je suis heureux aujourd’hui, grâce à la fondation qui porte son nom, de pouvoir aider à faire connaître son œuvre et sa personnalité, complexe et attachante. Permettez-moi de citer l’un de ses très beaux poèmes, « Mortes fleurs » : « J’ai fait le tour de mes années : / Un petit tas de poussière… / Je meurs un peu chaque matin. // Mais chaque mort est un réveil. // Ah ! ne pense pas que j’espère / Te conduire comme jadis / Au brasier de ta blessure ; // Les arbres de nos avrils / Sont depuis longtemps papillons. »
Le feu est très présent dans le recueil Ici-haut. Quel est votre élément fondamental ? Pourquoi ?
Dans sa remarquable préface à la réédition de ce recueil, Christophe Imperiali, qui, entre parenthèses, est également un excellent musicologue, spécialiste de Wagner, a très bien su analyser le rôle du feu dans ma poésie. Ceci pour la symbolique. De façon plus concrète, l’eau est pour moi l’élément le plus important. Déjà, je suis né au bord de l’Arve genevois, quai du Cheval Blanc (je ne sais pas s’il s’agit du même que Georges Limbour nomma illustre). Pendant près de 10 ans, j’ai donc vu cette eau s’écouler par mouvements rapides, parfois violents, entraînant feuilles et branches mortes dans son sillage.
Puis j’ai vécu une dizaine d’années quasiment au bord du lac Léman, pouvant, de la fenêtre du salon, contempler le coucher de soleil, chaque soir différent. Si j’ai peu pratiqué le bateau, j’ai en revanche beaucoup nagé dans le Léman, très au large, dans les erres du soleil. Entre Lutry et Saint-Sulpice, on peut encore faire de très belles promenades à pied en suivant les sentiers qui longent le lac.
Mais c’est la mer et l’océan qui me sont le plus cher, avec leurs relents de sel et de varech. « Homme, libre, toujours tu chériras la mer », nous disait Baudelaire. Comme c’est vrai ! Lors d’un voyage en Australie, en octobre 2008 (c’est-à-dire, hors saison touristique), plusieurs haltes au long de la Great Ocean Road m’ont permis de découvrir des paysages sauvages dans lesquels la mer ou l’océan (personne ne le sait jamais exactement !) viennent se fracasser avec panache. J’aurais pu rester là des heures à contempler cette splendeur. J’en reste ébloui encore aujourd’hui. Mon vœu le plus cher serait de finir mes jours face la mer. J’ai en tout cas retenu ma tombe au large de Narbonne Plage.
Propos recueillis par Fabien Ribery
Jean-Pierre Vallotton, Déroge à la lumière, éditions La Porte, Laon, 2016
Jean-Pierre Vallotton, Au rendez-vous des absents, L’Harmattan, 2016, 150 p.
Jean-Pierre Vallotton, Le corps inhabitable suivi de Ici-haut et de Précédemment, préface de Christophe Imperiali, éditions Empreintes, collection « Poche Poésie », 2015, 230p.