Le premier acte collectif de résistance à l’occupant nazi eut lieu dans le bassin minier du Pas-de-Calais au printemps 1941.
Afin de dénoncer les conditions de travail et la politique collaborationniste des industriels français, plusieurs dizaines de milliers de mineurs, inspirés par les travailleurs belges ayant récemment acquis une réelle augmentation de salaire, se mettent en grève.
D’une importance stratégique considérable pour les dirigeants du Troisième Reich, le charbon français ne peut manquer. La répression est féroce. Arrestations, exécutions, déportations dans des camps de concentration, notamment à Sachsenhausen près de Berlin.
Les préfets sont aux ordres, il faut faire des exemples, frapper vite et fort.
C’est au travers du conflit entre deux personnages, deux beaux-frères, Gilles le bagarreur, le révolté, et Ferdinand le supposé lâche, traître à la patrie, que Koza (scénario) et Marion Mousse (dessins) ont imaginé d’évoquer avec La Révolte des terres, en noir, blanc et nuances de gris aquarellées rehaussées parfois de quelques touches brunes très ténues, cette part méconnue de l’histoire de la Résistance française et des luttes sociales.
D’une façon habile, alternant des séquences se déroulant dans une chronologie différentes, les deux bédéistes construisent une tension dramatique incessante.
Nous sommes avec Odette, errant en juin 1945 dans les couloirs de l’Hôtel Lutétia à la recherche de Ferdinand, son frère disparu. Nous sommes quatre ans plus tôt à Sachsenhausen, le 23 juillet 1941 à l’arrivée d’un train (aboiements nazis, chiens méchants, matraques, miradors, baraquements, sang sur le sol, nudité, tonte, matricule cousu sur une veste rayée). Nous sommes trois mois plus tôt encore, quelques jours avant le 1er Mai, à Montigny-en-Gohelle (Pas-de-Calais), chez Odette, puis au café quand la colère gronde (Ferdinand préfère aller pêcher). De nouveau, c’est Sachsenhausen, la brutalité, puis la mine au moment de la douche, lors d’une rixe entre Gilles et son beau-frère. Pluie de coups à Sachsenhausen, appels interminables dans la nuit, épuisement.
Regards de Ferdinand, regards de Gilles, regards de tous, épouvantés.
Combats, rage, dénuement, abattement, courage.
Peu de paroles, mais une grande expressivité des dessins, des cadrages. Jeux d’échos, rimes visuelles, ellipses qui se croisent, rythme vif du découpage.
Impression d’une longue nuit, à Dourges dans la fosse 7 dite « Dahomey », au camp à l’heure des règlements de compte.
On se souvient de Ferdinand Bardamu face à Lola l’insultant (Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline) : la peur est légitime, seule la guerre ne l’est pas.
A Sachsenhausen, Ferdinand est l’homme à abattre, mais, heureusement, il y a Günter, l’anarchiste généreux, et les parties d’échecs imaginaires.
Rôdent des délateurs, des informateurs, des agents de liaison.
Croyant mourir lors d’une marche de transfert de camp, Ferdinand tombe, tombe, tombe, et ouvre les yeux sur la mine au fond de lui. Cette dérive au royaume d’Hadès est magnifique.
La Révolte des terres, titre emprunté au poème La Saison Noire, écrit par René Lacôte à la prison de Fresnes, en 1944, est une terrible histoire de frérocité, et de fraternité, où bien et mal inversent leurs pôles, sans que l’on sache toujours qui est qui.
Koza & Mousse, La Révolte des terres, Casterman, 2017, 104 pages