« C’était une affaire de jeune fille en fugue. Depuis plusieurs générations, les Hambleton étaient une famille de New York fortunée et jouissant d’une certaine notoriété. Rien dans l’histoire des Hambleton ne pouvait expliquer l’attitude de Sue, la benjamine du clan. »
Papier tue-mouches est une nouvelle du maître du roman noir, Dashiell Hammett, écrite peu avant le célébrissime Le Faucon maltais.
Art Spiegelman, dans une préface au livre dessiné que lui consacre l’illustrateur allemand Hans Hillmann (1925-2014), la résume ainsi : « Cette nouvelle met en scène une jeune femme qui s’enfuit du domicile de ses parents pour vivre dans le demi-monde de San Francisco. »
Ayant nécessité sept ans de travail, la version Hilmann de Papier tue-mouches (édition française à La Table Ronde), qui en a gardé essentiellement les dialogues, travaillant à l’aquarelle monochrome les séquences narratives (le texte intégral se trouve en fin de volume), est un véritable film sur papier, le dessinateur excellant à en restituer les ambiances troubles par des jeux d’ombres, de miroirs et d’incongruités (motif récurrent du rhinocéros).
Plongée dans les bas-fonds de Philadelphie avec Hyme le Sulfateur portant une mitraillette Thomson « enveloppée dans un bout de toile cirée ».
Bars borgnes entre les buildings, borsalinos et mines patibulaires.
Des bagarres, des tables qui se brisent.
Des escaliers d’incendie par lesquels fuir au cas où ça tournerait mal.
Arrive un télégraphe dans une agence de privés : refusant un destin respectable, une belle indécente s’est fait la malle, papa s’inquiète, il faut la retrouver au plus vite.
Nous sommes en 1926, et la pègre tient la rue.
Portrait du voyou Babe McCloor : « cent dix kilos d’os et de muscles irlando-indo-écossais, un géant basané aux cheveux noirs et aux yeux bleus qui se reposait après avoir tiré quinze ans à Leavenworth pour avoir dévalisé la plupart des petits bureaux de poste entre la Nouvelle-Orléans et Omaha. »
Cigarettes, chaussures cirées, pantalons à plis, tout le cirque des humains de l’urban jungle.
Papier tue-mouches est un récit en cinq actes, et deux-cent-trente-deux planches, comme autant de petites prouesses – pas toujours légendées.
La petite Miss Hambleton a pris la poudre d’escampette, mais il y a d’autres femmes de tempérament, par exemple Peggy, entendez-la brailler : « Ah ! Le moment est bien choisi pour la boucler. Accouche, espèce de cloche, ou je m’en charge. Si tu t’imagines que je vais me laisser faire marron avec toi, tu es dingue. »
On ne sait pas où est Sue, vous la chercherez.
Parole de Raymond Chandler, son obligé : Dashiell Hammett a « sorti le crime de son vase vénitien pour le jeter dans la rue. »
Spade dans Le Faucon maltais : « Tout le monde a quelque chose à cacher. »
N’est-ce pas ?
Hans Hillmann, Papier tue-mouches, d’après la nouvelle de Dashiell Hammett, préface de Art Spiegelman, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Janine Hérisson et Henri Robillot, La Table Ronde, 2018, 288 pages
(et méfiez-vous du papier tue-mouches à l’arsenic)