
Laboratoire d’une modernité relationnelle possible, notamment postraciale, l’Afrique du Sud offre selon l’intellectuel d’origine camerounaise Achille Mbembe une bonne vision sur ce que pourrait être le monde qui s’invente aujourd’hui un peu partout sur la planète : interculturel et faisant de l’en-commun un destin collectif.
La publication récente en Allemagne, chez Kehrer Verlag, de Welkom today est ainsi une excellente nouvelle nous permettant de saisir le double visage d’un pays passé de l’apartheid à la démocratie réconciliatrice, voire réparatrice, selon Mandela.

Il s’agit ici de confronter, dans un ouvrage de nature hybride, mêlant tous types d’images et de documents, les photographies prises au début des années 1990 par le photographe allemand Ad van Denderen (né en 1943), accompagné de la journaliste Margalith Kleijwegt, de la petite ville minière de Welkom, et d’images effectuées vingt-cinq ans plus tard par le photographe sud-africain Lebohang Tlali en ces mêmes lieux.
Ayant grandi dans un bidonville proche de Welkom, cet artiste né en 1978, également éducateur et commissaire d’exposition, a notamment étudié l’histoire de la photographie à Cape Town et Bern.

A la faveur de workshops ayant eu lieu à Welkom et Thabong, Tlali et van Denderen ont associé à leur projet de livre et d’exposition (Amsterdam, Bloemfontein, Johannesburg) leurs étudiants, créant une œuvre polyphonique, multiple, ouverte.
La vie quotidienne est documentée, dans la mosaïque de ses visages, dans l’ordre composite des corps assemblés, juxtaposés, ou continuant encore parfois à se défier.

Welkom today n’est pas une démonstration, mais une invitation à la différence et au respect du mystère de chacun.
Les chapitres sont des entrées thématiques, The Mines, The City, The Suburbs, The Hostels, The Country, The Township, The Outskirts, ponctuées d’ensembles d’images de nature vernaculaire issues d’albums de familles des deux ‘anciennes’ communautés.

Photographié en pied par Ad van Denderen, Lehobang Tlali nous présente ses proches, comme d’autres témoins après lui, Joanne Kahn, Kgojane Matutle, Joyce Mosimane, Lerato Motsatse… chaque album étant prolongé par un texte de plusieurs pages retraçant à grands traits la vie de leur principal représentant.
Portraits de groupes, situations intimes, naissances, diplômes de fin d’étude, repas divers révèlent de façon fragmentaire les multiples étapes marquant la vie d’une famille, tandis qu’à intervalles réguliers apparaissent les archives en noir et blanc du photographe allemand, montrant par exemple la mine et son univers déshumanisant.

Refusant tout manichéisme, Welkom today ne s’érige pas en juge suprême, faisant plutôt découvrir la géographie sensible de chaque famille inscrite dans le cours d’une histoire la dépassant très largement.
Les images contemporaines en couleur sont généralement réjouissantes, tant les corps et les façons d’être ensemble divergent, chacun se singularisant par le style de vie qu’il invente.

Welkom today est donc avant tout une ode au génie de la vie, à l’effort mis pour tenir sa place, son rang, au sein de situations complexes et parfois conflictuelles (certains prient, d’autres militent, et les différences de classe sont criantes), mais aussi, et c’est la chance de tous, parfaitement banales.
Et l’on verra qu’ici, dans le passage du noir & blanc à la couleur, la haine a indubitablement reculé et que la société mondialisée, malgré sa puissance d’arasement et de nivellement, est aussi porteuse de monde commun, même si nombre de clivages, à l’école par exemple, perdurent.

Et tant de chemins de vie, de visages, de constructions identitaires, crée un beau vertige.
South Africa, like a roundabout, or a rolling stone, or an utopia, or just a banality.

Ad van Denderen, Lebohang Tlati, Margalith Kleijwegt, Welkom today, Kehrer Verlag, 2019, 304 pages

Exposition de Welkom today, Stedelijk Museum Amsterdam – du 18 mai au 13 octobre 2019
