
Publié en 1926 à titre posthume à l’initiative de son ami Max Brod, Das Schloss (Le Château) est un récit de Franz Kafka sur l’absurde et l’arbitraire.
C’est aussi le nom d’une demeure où vécut la photographe Sara Imloul, un antre familial tapissé de souvenirs et de jeux d’enfants.
Comment retourne-t-on au pays du Jadis ?

N’hérite-t-on vraiment comme le pense Derrida que dans la réinvention du legs ?
Pour revenir chez elle, la grande petite fille devra faire danser les fantômes, prendre doucement la main de l’arpenteur K – appelons-le Mémoire -, se frayer un chemin dans les ténèbres et le froid, se laisser dessaisir d’elle-même, accepter de faire rouler sur sa nudité des voluptés d’oursins.
Das Schloss est un théâtre d’apparition, l’inquiétante étrangeté d’une cérémonie secrète, dont le pouvoir symbolique conduit à de profonds remuements intimes.

Dans l’inconnaissable des fantasmes produits par un lieu abordé telle une allégorie psychique, Sara Imloul met en scène des objets et des corps comme on entre sans volonté d’en sortir dans un labyrinthe où tout semble possible.
Le sens est suspendu, comme à l’instant du sacrifice le couteau effleurant la gorge.
La surréalité des situations imaginées n’est pas qu’une petite affaire privée, mais une mise en branle des archétypes perceptibles dans le rêve éveillé du boitier photographique.

Le noir de la chimie argentique est une terre à fouiller, une glaise originelle à sculpter, la matière même d’une recherche propice à l’archéologie de soi.
Mais les photographies de Sara Imloul ne sont pas seules, cultivées sans enfermement d’érudition, informées par l’histoire des représentations, inspirées par les recherches plastiques de Paul Klee, Sonia Delaunay et de l’école du Bauhaus, à partir desquelles elles dessinent de nouvelles présences, entre extase et effroi, offrande et retrait, menace et abandon.
Il y a des portes, des escaliers, des appels de lumière, des murs de livres et des échelles ne menant peut-être nulle part.

Dans la joie provocatrice de bas tenus par des porte-jarretelles, la belle construit un piège métaphysique, où perdre la raison, le sexe et l’âme.
Cupidon porte un bâillon.
Das Schloss est un rêve de peinture, un masque qui révèle, un étourdissement, la part d’impénétrable d’une femme que Kafka nomma du doux nom de Frieda.
Sara Imloul, Das Schloss (Le Château), texte Michel Gaillot, traduction (anglais) Philippe Patry, Filigranes Editions / galerie Polka (Paris), 2015, 74 pages – 700 exemplaires

Magnifique
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