Lumières du missel impossible, par Gérard Le Gouic, poète

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« Après coup, j’ai pensé évidemment au bon Quimpérois Max Jacob qui, pendant trente ans, n’avait pas passé un jour sans écrire sa méditation. ‘Une journée sans méditation, confiait-il, est une journée d’irritation, de gaffes, de mauvais travail et de contrariété.’ »

On peut être incroyant, ou tenter de l’être jusqu’au bout, et écrire des prières d’or.

Dieu peut se trouver dans l’acceptation totale à ce qui est, ou l’absolu de la négation.

Le fou d’athéisme Sade écrivit des centaines de pages d’anathèmes et de raison antireligieuse, peut-être plus choquantes encore que ses obsessions sexuelles : qui fut alors plus saint que lui ?

Planent sur le recueil du poète breton Gérard Le Gouic, Exercices d’incroyance – son premier livre chez Gallimard après de nombreux autres chez Coop Breizh, Rougerie, Les Montagnes noires, La Part Commune – les belles ombres de Jacques Baron, Louis Guillaume, René Guyomard, Charles Le Quintrec, Antony Lhéritier, Michel Manoll, Georges Perros, Jean-Claude Pirotte, Frédéric-Jacques Temple, et peut-être le premier de tous, prince des Poëtes sans tonitruance, ami d’Antonin Artaud, Henri Thomas.

« Je Vous ai détecté dans un lieu / que je n’imaginais pas, // sous une forme / à laquelle je m’attendais peu. // Vous étiez invisible / et pourtant je Vous touchais. // J’étais en même temps que Vous présent / et Vous ne me trahissiez pas. »

Un matin, on écrit sous la dictée des prières – mais pour qui ? pour quoi ? -, alors qu’on est si petit, si léger, si insignifiant.

Ne pas croire en Dieu est-il raison suffisante pour ne pas Lui écrire, et Le remercier ?

« Je m’agenouille mais ignore / si c’est devant Vous, // au pied de Votre ombre / qui de déploie comme une cape // sur mes épaules, / sur mes maux, mes incertitudes, // je m’agenouille devant Vous / parce que Vous ne produisez aucun reflet. »

Qui écrit ici ? Est-ce un moine de l’abbaye de Landévennec, un frère oblat, un solitaire dans son ermitage ?

Ou un poète baptisé en 1936 à l’église de Redené, dans le Finistère, créateur à Quimper dans les années 1970 de la maison d’édition Telen Arvor (La Harpe d’amour) ?

Les distiques s’enchaînent avec limpidité, la voix est constamment tenue, sans heurt, humble et puissante.

Gérard Le Gouic écrit sans complaisance, ni indulgence, mais sans déni lorsqu’il n’est plus possible de ne pas entendre la Voix.

« Vous occupez mon corps, ses fonctions, / comme la nage d’une méduse dans la mer. // Vous stagnez à hauteur / j’ignore de quel organe, // mais je perçois Votre dérive / au fil des courants qui me sillonnent / et que Vous produisez, / entraînant la méduse que je représente // dans l’immensité de Votre corps / que les hommes sans foi baptisent l’Univers. »

Le Cantique des Cantiques était incomplet, il lui manquait ces vers : « Mon cœur ne recèle plus / que l’éblouissement de Votre jardin en fleur, // que la maturité de ses fruits, / que les senteurs de ses chevelures. »

Et : « Je suis dans une île / entouré de ce qui n’existe pas, // dans l’île de Votre solitude, / dans les bras insaisissables de Votre amour. »

Gérard Le Gouic a probablement quatre-vingt-cinq ans, ou beaucoup plus, ou beaucoup moins.

La mort approche, mais aussi Dieu, dans le frémissement des sens.

« Je m’endors parfois / à ma table, sur ma page. // J’ai sombré en Vous / comme un navire qui heurte / une île approximative / dans des mers sans contours. // J’ai conscience alors / de l’étendue de Votre influence, // de mon incapacité de ne pas me soumettre, / de ne pas Vous aimer. »

Si j’étais capable d’écrire cela au crépuscule de ma vie, je crois que je ne serais pas trop malheureux. 

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Gérard Le Gouic, Exercices d’incroyance, Gallimard, 2021, 70 pages

Gérard Le Gouic – Gallimard

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