John Coplans, la vie des formes, par Jean-François Chevrier, historien de l’art

Back with Arms Above, 1984 © The John Coplans Trust

Back with Arms Above, 1984 © The John Coplans Trust

« Maintenant, je me sens en exil, vivant à Manhattan, qui est une île. Je ne suis ni américain ni européen, et je ne suis pas le bienvenu en Angleterre. Mon travail est aussi un entre-deux, entre peinture et sculpture, exactement de la même façon que la photographie. » (John Coplans, entretien avec Jean-François Chevrier, 1991)

A la toute fin du film L’ami retrouvé, de Jerry Schatzberg (1989), inspiré du récit éponyme de Fred Uhlman, le protagoniste, revenu en Allemagne sur les traces de son passé, après avoir fui son pays gagné par l’hitlérisme, visite une exposition de photographie ayant lieu dans un lycée de Stuttgart.

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© The John Coplans Trust

On y voit des fragments de corps en gros plans, des formes étranges, presque monstrueuses, des états d’être absolus.

L’impression est d’autant plus forte que les plans sont rapides, furtifs, comme s’il y avait là quelque secret caché derrière la porte de la conscience.

Est-ce cela un corps ? Est-ce cela une identité de chair ? Est-ce cela ce que les Nazis n’ont eu de cesse de briser, de morceler, de pulvériser ?

Je sais aujourd’hui qu’il s’agit de l’œuvre princeps de John Coplans (1920-2003), ayant étudié pendant treize ans, de 1984 à 1977, son corps nu et vieillissant, le découpant, le fragmentant, le réinventant en en révélant, notamment par les torsions des membres et le jeu des cadrages, toute sa puissance d’inconnu.

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© The John Coplans Trust

Nous appartenons-nous vraiment ?

Notre enveloppe de chair abrite un impensé, l’inouï d’une vie autonome nous échappant pour une grande part.

A ce point de réalité et de crudité, la matière devient esprit.

Ses autoportraits n’ont pas de tête, chacun peut donc s’y projeter en toute liberté.

Dans une analyse brillante – loin de la pesanteur académique -, publiée à Cherbourg par Le Point du Jour, l’historien de l’art et essayiste Jean-François Chevrier, par ailleurs commissaire d’exposition, questionne l’activité artistique de John Coplans faite de multiples ruptures et continuités, l’auteur britannique vivant aux Etats-Unis n’ayant débuté la photographie qu’en 1980 après la rétrospective Weegee qu’il avait organisée à New York pour l’International Center of Photography (ICP).

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© The John Coplans Trust

Ayant arrêté la peinture en 1962-1963, celui-ci s’explique dans un texte intitulé Artist’s Statement, repris comme quelques autres d’importance écrits entre 1965 et 1991 dans le volume paraissant aujourd’hui en français (les introductions et notes sont d’Elia Pijollet) : « Du fait de mon expérience de peintre, j’ai décidé de travailler en grand format, à l’échelle du mur plutôt que du livre. J’ai pris pour sujets des amis, des amantes, des enfants, leurs relations, tout un catalogue de types humains qui m’étaient immédiatement accessibles. Dans cette approche s’est imposé bien sûr l’exemple d’August Sander. »

Très marqué par la mort accidentelle, en juillet 1973, de l’expérimentateur et fondateur du land art Robert Smithson, Coplans, amateur de l’œuvre de Philip Guston et de la photographie de ses propres sculptures par Brancusi, comme des vues stéréoscopiques du pionnier Carleton Watkins, s’intéresse, à partir de son propre corps, aux archétypes, élaborant un répertoire de formes aussi étonnantes, voire grotesques, que féroces – présentées parfois comme des polyptiques -, et dans une frontalité en quelque sorte anhistorique accrue par l’absence d’environnement idéntifiable.

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© The John Coplans Trust

Se déployant à la limite de la tératologie, sa vision est héritière de celle de Géricault allant à la morgue pour le travail préparatoire du Radeau de la Méduse, ou à la pureté dénoncée autant qu’admirée des formes parfaites d’Edward Weston, comme de celles du peintre et sculpteur abstrait Ellsworth Kelly.

Jean-François Chevrier, qui l’a bien connu, écrit : « Du corps dénudé acéphale, vu de profil, le centre d’intérêt n’est plus le visage. L’identité du modèle ne s’exprime plus dans la physionomie, s’efface. L’attention peut se déplacer sur le sexe ; une des plus belles vues frontales figure la représentation du sexe (pénis et testicules) comme un objet d’offrande soulevé et soutenu délicatement au bout des doigts. »

Cette dimension d’offrande est essentielle.

Ceci est mon corps, semble dire le photographe, mais ceci est aussi le vôtre, le nôtre, loin de l’idéalisation trompeuse, parce que nous sommes essentiellement, le montage de ses images l’exprime, une unité divisée, que l’art peut chercher à rétablir dans la vérité de son ontologique discontinuité.   

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Jean-François Chevrier, John Coplans – Un corps, suivi d’une anthologie de textes de John Coplans, Le Point du Jour, centre d’art / éditeur, 2021

Le Point du Jour – site

Ce livre est publié à l’occasion de l’exposition « John Coplans, la vie des formes », présenté par la Fondation Henri Cartier-Bresson (Paris), du 4 octobre au 15 janvier 2022, et par Le Point du Jour (Cherbourg) du 6 février au 15 mai 2022 – commissariat Jean-François Chevrier et Elia Pijollet

Fondation Henri Cartier-Bresson

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