©Matthieu Dorval
« Je marche dans un tableau de l’école de Barbizon. »
Il faut partir, quitter d’une façon ou d’une autre le mal social, le verbe empoisonné, les injonctions nauséabondes.
Il faut regarder les mouvements de la Loire à Ingrandes, remonter des rives, voir le jour se lever à Chinon, écouter le silence à Murat, observer jouer les enfants dans une cour d’école à Saint-Urcize.
Nous sommes vivants, ils sont morts ; ils sont vivants, nous sommes morts.
©Matthieu Dorval
C’est dans cet état où l’acuité des sens n’est jamais très loin de l’état hypnagogique que le peintre Matthieu Dorval a voyagé à pied, entre la pointe du Finistère où il réside et le littoral méditerranéen, accompagnant ses haltes de dessins et de quelques notes, ensemble repris dans le beau volume J’irai là où tout a commencé, publié par les éditions Dialogues à Brest.
Aller au commencement, c’est d’abord pour l’artiste ayant essuyé le grain violent d’une méningite se rendre à la grotte Chauvet, trouver le bon rythme de marche, ne pas craindre la protection des faucons pèlerins, se réinventer.
Quitter, s’ensauvager, s’affiner.
©Matthieu Dorval
S’arrêter dans un café de bourg, laisser le temps filer, ouvrir son cahier.
Des coteaux, des vignes, entrer dans la nuance des couleurs, esquisser des lavis, des aquarelles, comme autant d’éloges du paysage français, comme des autoportraits par les herbes, les arbres et les roches.
Plusieurs dizaines de kilomètres par jour, dormir sous tente, passer près des châteaux endormis, aller dans l’épuisement jusqu’à la récompense d’un verre de Saumur.
« En prévision des longs jours de marche encore à venir, en mémoire de ma première journée de déluge, et peut-être sous l’influence de saint Martin, j’achète une cape. »
©Matthieu Dorval
Il y aura trente-neuf jours de marche, ce chiffre n’est pas, je crois, biblique, il pourrait l’être.
Trente-neuf jours pour chasser le spectre du mal ayant atteint le cerveau, pour unifier le corps et l’esprit, pour se réformer au contact de la nature.
Thoreau le transcendentaliste ne disait pas autre chose : « Je m’en allai dans les bois parce que je souhaitais vivre délibérément, ne faire face qu’aux faits essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu’elle avait à enseigner, et non découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n’avais pas vécu. »
Lors de son périple semi-érémitique, Matthieu Dorval rencontre des silhouettes (un pêcheur), des fantômes (Rabelais), et quantité de saules, de frênes, de berges, de bois et de friches agricoles.
Solitude de chien, solitude de loup, solitude de saint.
Bonheur des couleurs, bonheur des compositions, bonheur des conversations éclatantes avec les paysages traversés.
Constable et Quentin Latour sont là, dans le visible et l’invisible, Renoir aussi, et tous les grands peintres élargissant par leurs visions notre sentiment d’existence.
Joachim Patinir, Paul Rebeyrolle, Olivier Debré, Philippe Cognée.
©Matthieu Dorval
Matthieu Dorval ne cherche pas à toutes fins les seuls moments épiphaniques relevant de la grâce, mais la belle et profonde sensation d’être là, planté dans le décor, le pinceau à la main, vibrant à l’unisson du vaste dehors.
Dernière phrase : « Dans une heure, j’aurai atteint mon but. »
Une heure se décomposant en mille instants, en des fééries de poussières colorées venant du Sud.
Matthieu Dorval, J’irai là où tout a commencé, Journal d’une traversée, éditions Dialogues, 2021, 184 pages
Matthieu Dorval – éditions Dialogues
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