Un voyage en canoë à la lisière des songes, par Quentin Pruvost, photographe

©Quentin Pruvost

« Il n’y a rien de plus vivant mais aussi de plus tranquille que des bois. En comparaison, deux voyageurs oscillant sur leurs canoës semblent tout petits et bien agités. » (Robert Louis Stevenson)

On connaît généralement de Robert Louis Stevenson le roman de piraterie L’Île au trésor, l’histoire fantastique L’étrange cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde, et Voyage avec un âne dans les Cévennes, récit de voyage paru en juin 1879, qui est devenu depuis un ouvrage culte pour les familles désireuses de découvrir la nature avec leurs enfants et de prendre la poudre d’escampette civilisationnelle du côté de la Lozère.

Mais il y a aussi de l’écrivain écossais enterré – il est mort en 1894 à l’âge de quarante-quatre ans – face à la mer au sommet du mont Vaea, situé dans l’archipel des Samoa, un autre court récit de pérégrination, bien moins connu, publié un an plus tôt, intitulé An Inland Voyage.

©Quentin Pruvost

Il écrivit à sa mère, dans une lettre de jeunesse retrouvée par Jean-Philippe Mailliez : « Ma chère maman, tu ne dois pas te sentir blessée par mes absences. Tu dois comprendre que je serai plus ou moins un nomade jusqu’à la fin de mes jours. Autrefois, j’allais regarder les tains en partance et j’étais là, désirant si fort partir avec eux… Il faut m’accepter tel que je suis, et me laisser du temps. »  

An Inland Voyage est un parcours sur les canaux de la Sambre et de l’Oise, depuis Anvers jusque Pontoise.

Dans son très beau livre au titre éponyme, Quentin Pruvost est entré dans la matière littéraire inventant un voyage photographique entre rêve et réalité.

Son ouvrage commence de manière cinétique, comme si nous suivions une barque au fil de l’eau alors que le soir tombe.

©Quentin Pruvost

La végétation est mystérieuse, on ressent des présences, tout bruit dans le silence.

La rivière pourrait s’appeler Mnémosyne.

Sommes-nous dans le Nord de l’Europe ou quelque part en Géorgie américaine ?

Apparaît un nautonier, plus sûrement un batelier, paisible, concentré sur le paysage et son monde intérieur.

Les yeux naviguent dans les images, presque tarkovskiennes mais sans le drame ou le sentiment de sacrifice propre au maître russe.

Il y a certes quelques bâtiments industriels monstrueux, des constructions humaines anciennes posées dans l’environnement comme des balafres, mais tout passe, l’eau s’écoule, la philosophie est l’état naturel du marcheur des rives.

©Quentin Pruvost

Dans un café un couple âgé s’enlace, l’amour abolit le temps, ou lui donne une dimension sacrée.   

Il y a des brouillards, des brumes, des particules de songes.

On est bien ici, dans le vert et le retrait du monde.

Un homme assis dans une pèlerine brune caresse un chat en regardant fixement le spectateur.

A côté de lui, il y a un grimoire.

Nous entrons dans le domaine étrange et beau de la sorcellerie aux reflets d’argent (partie 2).

©Quentin Pruvost

Toute chose ici semble transfigurée, proche et relevant pourtant du lointain.

On appelle cela l’aura, le frémissement d’une énergie première, primitive, une profondeur d’être unissant subtilement l’ensemble des vivants dans un rayonnement solennel.

La troisième partie est plus diverse, quelque peu baroque mais à peine.

Un lombric nous accueille, glisse entre les brindilles, avant que de se transformer en lacet de bottine de majorette.

Le voyage se poursuit, entre rencontres humaines et végétales.

©Quentin Pruvost

C’est maintenant le royaume des paréidolies.

On regarde mais nous sommes assurément regardés.

Chaque coup de pagaie dans la moire amniotique fait lever des ressemblances, crée des parallélismes, remue des entités à peine perceptibles dans l’ensemble du visible.

Ainsi fonctionne le conte, ainsi fonctionne la vie.

©Quentin Pruvost

Hervé Leroy écrit en préface, presque comme un murmure : « Sur l’autre rive, un héron s’envole, déchire le voile, troue l’espace sans l’anéantir. »

Voilà, Inland Voyage est livre qui passe à travers le voile de l’existence liquide, sans le déchirer.

Quentin Pruvost, Inland Voyage, postface (français/anglais) Hervé Leroy, Jean-Pierre Mailliez, direction éditoriale Eric Le Brun, avec Laurène Becquart et Elodie Collet, éditions Light Motiv, 2022

https://editionslightmotiv.com/produit/inland-voyage/

©Quentin Pruvost

http://quentin-pruvost.com/

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  1. Excellent papier pour un photographe de premiére grandeur que je connais bien puisqu’il fut un peu mon tuteur en photographie quand je me suis inscrit au club photo de Denain dont il était et est encore Président.

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