Paradis, l’étrange beauté d’un conservatoire, par Oriane Thomasson, photographe

©Oriane Thomasson

Je ne cesse de déplorer le saccage de la planète, de rêver à la mise en place d’un état d’urgence écologique mondial, et me repais peut-être de ma plainte.

Cependant, le Paradis existe, dans l’instant densifié arrêtant le temps et les cogitations stériles (les enfants et les amants sont très forts pour cela), dans les rêves, et dans tout acte élargissant considérablement le champ de la conscience en nous faisant accéder aux réalités supérieures.

Le Paradis, ou plutôt avec Oriane Thomasson Paradis, libre publié chez The Eriskay Connection sous couverture faisant penser à un lé de papier peint entoilé.

Graphiquement exaltant – qualités des papiers de formats différents, tailles des images en noir & blanc et couleurs, diversité de provenance des documents rassemblés -, cet ouvrage pourrait se situer dans la continuité des Archives de la Planète d’Albert Kahn et du cabinet de curiosité d’un voyageur du XIXe siècle.

©Oriane Thomasson

On peut penser aussi à Victor Segalen en Chine rencontrant un cheval en pierre (avant-dernière image).

La force visuelle de Paradis provient de l’hétérogénéité des images qu’il collige issues de sources iconographiques multiples.

Ce livre n’est pas strictement une arche de Noé (les végétaux et constructions sacrées y sont prédominants), ni un cimetière à pages ouvertes (il y a du très vivant), mais un conservatoire du génie créateur, de la nature et des humains.

Les images sont parfois effacées, toujours étonnantes, à la lisière du fantastique, et de l’onirisme.

©Oriane Thomasson

Les peuples et leur idiosyncrasie disparaissent, les dinosaures sont les éléments du décor du parc d’attraction géant qu’est devenue l’existence – effrayant car masquant sa vilénie par le totalitarisme de ses artefacts -, nous ne distinguons plus le simulacre de la réalité en son inventivité spontanée.  

Dans son texte conçu comme une nouvelle intitulé Le Singe et le Sarcophage, Oriane Thomasson écrit : « Pierre s’arrêta, hagard. Ce qu’il avait senti c’était une charogne, qui s’épanouissait sur son lit de cailloux, une carcasse dansante par sa plaie, multipliée par son bourdonnement, dégoulinante de gras. Elle s’offrait rouge et blanche, luisante et créatrice. »

L’inventaire des beautés et des mystères de la nature relève ici de l’indomptable et du sauvage, le tropisme majeur de Paradis étant celui de la forêt équatoriale.

©Oriane Thomasson

Nous sommes aussi chez Jules Verne, quelque part entre Voyage au centre de la Terre et Le Tour du monde en quatre-vingts jours.  

Oui, il est encore possible de s’enchanter, d’entrer dans le mystère des couleurs et des formes, de comprendre le présent comme la promesse du passé, de croire en la fécondité plutôt qu’aux puissances d’extinction.

Des fruits tombent sur des squelettes.

Des créatures fossilisées se transforment en mandalas.

Dans les muséums d’histoire naturelle, dans les réserves des laboratoires scientifiques des établissements scolaires, il y a des merveilles, comme en ce livre de mise en lumière de la biodiversité, sublime et étrange.

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Paradis expose une collection de vues d’espaces marqués par le tellurisme et les mouvements souterrains.

C’est un abri très beau réconciliant homo demens et ses racines végétales, en proposant au turbulent bipède une nouvelle alliance.

Un coing, une carte, des manchots en résine.

Une pierre verte, un trompe-l’œil, un drôle de zèbre.

La dernière image est celle d’un banian, bien plus savant que mémoire d’homme – nous sommes au Cambodge sur le site d’Angkor Vat.

Cet arbre exposant l’ensemble de ses racines et une leçon d’éthique.

Oriane Thomasson, Paradis, design Rob van Hoesel, The Eriskay Connection, 2022 – édition française, 350 exemplaires / édition anglaise 400 exemplaires

©Oriane Thomasson

https://orianethomasson.com/

©Oriane Thomasson

https://www.eriskayconnection.com/home/126-paradis.html

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