Le renversement du regard, par Antigone Kourakou, photographe

©Antigone Kourakou

On pousse un rideau, on se lave les cheveux en se penchant dans le vide, on entre dans le territoire des métamorphoses.

Ainsi commence Transfiguration, de la photographe d’origine grecque Antigone Kourakou, qui est un livre de pure grâce publié à Oslo par Skeleton Key Press.

Les instants sont chorégraphiés, le noir et blanc est une coulée fraîche intime, le grain de l’image et celui de la peau entrent en fusion douce.

©Antigone Kourakou

Dans la spirale du désir, il y a une femme, hiératique, tragique, dont le visage est recouvert d’un voile en résille.

Un dos surmonté d’un soleil artificiel.

Un arbre étique, des herbes sèches, du sable.

Un corbeau s’apprête à picorer le cou d’une belle alanguie.

Nevermore, Nevermore, croasse-t-il.

©Antigone Kourakou

S’avance une nappe d’eau frangée d’écume.

La nature est première, le corps courbé fait l’offrande de sa nudité, la chair épouse le minéral, la nature est un écrin où apparaître en se cachant.

Transfiguration est un hymne à la liberté, composé d’images aussi limpides que mystérieuses.

Il y a de la cérémonie secrète ici, une façon de célébrer le vivant en le mettant en scène afin de magnifier sa capacité de jeu et d’extravagance.

©Antigone Kourakou

Le microcosme humain rencontre le macrocosme de l’environnement, sans qu’il y ait la moindre discontinuité entre l’un et l’autre.

Antigone Kourakou pense fractales, résonances, correspondances.

Le tombé d’un drap, le tombé d’un déshabillé, la tombée de la tête tendant le tendre cou.

Les murs dansent, et les fenêtres, et les pierres.

Transfiguration est un sabbat de sorcières, le sacre d’un corps abandonné dans l’espace, avant que de se réveiller de l’autre côté du miroir.

©Antigone Kourakou

L’artiste crée les instants d’une fiction suspendue entre le rêve et la réalité.

La mer s’est ouverte sur un œil, un sein, une main, un papier déchiré, un bois originel.

Les ménades aux pieds noirs sont belles, qui enivrent les pages.

Les photographies d’Antigone Kourakou inventent un archipel étrange – souvent bordé de craie blanche comme une matière de Léthé – où flottent des présences solennelles.

On y rampe aussi, on s’y tord, on y dort d’un sommeil de la raison engendrant des beautés fulgurantes.

Il faut sortir du cadre, entrer dans le sexe d’une fleur, perdre les yeux pour ouvrir des canaux de perception plus intimes, plus ésotériques.

Transfiguration nous invite à la source des gestes libres.

Antigone Kourakou, Transfiguration, texts Erik Vroons and Costis Antoniadis, edited by Antigone Kourakou & Russell Joslin, cover design Xenophon Philippousis, Skeleton Key Press (Norvège), 2022 – 300 copies