©Russell Joslin
Alone Forever Sometimes est une série d’autoportraits réalisés par Russell Joslin entre 2000 et 2019.
Nous sommes ici aux marges de la folie, avec un homme se mettant en scène tel un Sisyphe moderne : remonter la pente de soi-même, puis chuter, puis recommencer.
Plane en effet en ces cinquante-huit planches la menace d’un effondrement.
©Russell Joslin
Un homme isolé se heurte à des parois de verre.
Sa tête ronde et chauve est une planète étrange, bourgeon de chair prenant place parmi les chardons.
Alone Forever Sometimes est une étude sur soi, une recherche de paix intérieure, une pulsion de vie, un exorcisme.
Effectués au retardateur, ces autoportraits argentiques en noir et blanc font entrer le spectateur dans un conte fantastique, légèrement surréalisant.
©Russell Joslin
Regarde-t-on un homme ou un personnage ?
Le protagoniste le sait-il lui-même ?
Il est le petit chien qu’il serre contre sa poitrine, le livre sur lequel il se penche tel un talmudiste, un signe d’écriture sur un sol transformé en tableau d’école.
Le jeu avec la tête imberbe, apparaissant, disparaissant, sur le point de disparaître, structure l’ensemble de l’ouvrage.
Les yeux ne sont pas encore révulsés, mais tout est possible, Frankenstein est notre frère à tous.
©Russell Joslin
Etre soi-même, être autre, ne pas s’appartenir vraiment.
Russell Joslin observe ses métamorphoses, grimpe une échelle ne menant nulle part, tombe d’un ciel sans toit.
Le flou, les superpositions et l’inventivité des cadrages sculptent une présence trouvant dans la nature un ordre de démesure doublant son égarement.
La tête repose sur un billot de bois, en attente d’une hache invisible.
Le photographe s’avance aux lisières de la mort, pour mieux s’en extraire et tenter de ressusciter pleinement.
Le regard est inquiet, l’être est à l’affut.
©Russell Joslin
D’où viendra le couteau sanglant qui nous délivrera de nous-même ?
Faire l’oiseau, le portemanteau, le chêne.
Nous sommes les meurtriers inconscients d’un jumeau intra-utérin à peine formé.
Il n’était rien, mais le voilà qui nous hante, nous tourmente, nous harcèle.
Quel jour suis-je né ?
Quel jour est-il mort ?
Il y a de l’épouvante, quelque chose de La Nuit du Chasseur.
©Russell Joslin
Russell Joslin organise sa propre chasse à l’homme, puis rencontre une belle, qui l’entoure de ses bras, avant de lui dévorer le crâne peut-être.
Comment prier lorsque Dieu est mort ?
Il faut fuir, courir, ramper, se cacher.
Du lit vide montent une chaleur, de la tiédeur, de la froideur, puis rien, le glas.
©Russell Joslin
Il est passionnant de prolonger la vision de Alone Forever Sometimes par le volume Series of Dreams, qui collige les images de cent cinquante photographes publiés dans le magazine Shoots – soixante-huit numéros – alors que Russell Joslin en était l’éditeur et le rédacteur en chef pendant dix-sept ans.
Cet ouvrage constituant le premier titre de Skeleton Key Press (Oslo) donne la sensation de pénétrer l’inconscient visuel de son manager/photographe, tout en ouvrant sur la poétique générale d’une maison d’édition norvégienne à la qualité rare.
Que voit-on ? Que comprend-on ? Que ressent-on ?
left: Rita Bernstein; right: BA Bosaiya
Un état très beau d’abandon, de déprise, de don de soi.
Une solidarité de fond avec les isolés, les grandes sensibilités, les bulles de savon.
Le mystère de chaque présence.
Des rites secrets, des signes étranges et envoûtants, une attention au feu intérieur.
left: Oleg Videnin; right: Peter Sumner Walton Bellamy
Des amorces de fiction.
Une interrogation sur le désir.
L’énigme de la géométrie transcendante.
Une grande douceur.
De la fantaisie.
left: Tone Elin Solholm; right: Susan Friedman
Un manifeste sur le regard, l’aveuglement, la fascination.
La solidarité entre les générations et des humains envers l’ensemble du vivant.
Une conscience de la mort.
De la solitude.
Des signes initiatiques.
Ed Ross, Untitled 2013
Des masques et des dévoilements.
Entre épiphanies et mises en scène, Series of Dreams est porteur d’une formidable envie de vivre sans fard, dans le tremblement et le jeu, la grâce et les royautés discrètes, la réinvention de soi et l’innocence bouleversante d’un corps jeté dans le monde sans armure.
Russell Joslin, Alone Forever Sometimes, text Russell Joslin, Rimma Gerlovina & Valery Gerlovin, Skeleton Key Press (Norway), 2019 – 350 copies signed and numeroted
https://www.skeletonkeypress.com/alone-forever-sometimes
©Russell Joslin
Russell Joslin, Series of Dreams, text Sally Mars, Skeleton Key Press, 2018, 190 pages – Artistes collaborateurs : Geoffrey Agrons, Jane Fulton Alt, Dave Anderson, Richard Ansett, Éric Antoine, Angela Bacon-Kidwell, Roger Ballen, Allan Barnes, Allison Barnes, Douglas Beasley, Peter Sumner Walton Bellamy, Rita Bernstein, Anne Berry, Julie Blackmon, B.A. Bosaiya, Jeremey Bot, Velibor Božovic, Matthieu Brouillard, Joscha Bruckert, Susan Burnstine, Debbie Fleming Caffery, Rebecca Cairns, Catherine Cameron, Tom Chambers, Polly Chandler, Chang Chao-Tang, Colleen Longo Collins, Monica Denevan, Maggie Diaz, Gina Easley, Smith Eliot, Janieta Eyre, Torkil Færø, Gloria Baker Feinstein, Tobias Feltus et Joseph Feltus (FeltusFeltus), Teresa Flowers, Roman Franc, Susan Friedman, Valerie Galloway, Rimma Gerlovina et Valeriy Gerlovin, Carol Golemboski, Elijah Gowin, Scarlett Hooft Graafland, Brigitte Grignet, Robin Hann, Kip Harris, Cig Harvey, Anna Hayat et Slava Pirsky, Cornelia Hediger, Øyvind Hjelmen, Josef Hoflehner, Eirik Holmøyvik, Kazha Imura, Amy James, Olivia Johnston, Russell Joslin, Bastian Kalous, Keymo, Ghada Khunji, Kevin Kline et Bruce Schultz, Viktor Kolář, Antigone Kourakou, Mariya Kozhanova, George Krause, Aëla Labbé, Alain Laboile, Louviere+Vanessa, EJ Major, Igor Malijevský, Isa Marcelli, Brittany Markert, Sally Mars, Sayaka Maruyama, Edith Maybin, Anne Arden McDonald, Julie Meridian, Bridget Murphy Milligan, Arno Rafael Minkkinen, Beth Moon, Jeff Moorfoot, Robert Moran, Shelly Mosman, Celeste Nelms, Suk Kuhn Oh, Louie Palu, Lydia Panas, Edoardo Pasero, Sean Perry, Ivan Pinkava, Agafia Polynchuk, Douglas Prince, Jacqueline Roberts, Ellen Rogers, William Ropp, Ken Rosenthal, Ed Ross, Sebastian Rut, Steve Schapiro, Nashalina Schrape, Larry Schwarm, Robin Schwartz, Deb Schwedhelm, Lauren Semivan, Jennifer Shaw, J. Shimon & J. Lindemann, Erica Shires, Elizabeth Siegfried, Lauren E. Simonutti, Kristen et Mark Sink, Vojtěch V. Sláma, Aline Smithson, Tone Elin Solholm, Daniel Southard, Vee Speers, Bjørn Sterri, Gordon Stettinius, Håkan Strand, Maura Sullivan, Darla Teagarden, Heiko Tiemann, Sylvie Tillmann, Alexey Titarenko, Pavel Titovich, Ana Tornel, Arthur Tress, Rod Tuach, Bill Vaccaro, Tom Van de Ven, Alexander Veledzimovich, Doifel Videla, Oleg Videnin, Lori Vrba, Garie Waltzer, Helen Warner, Hiroshi Watanabe, Donata Wenders, James Wigger, Francis A. Willey, Michael Wilson, Vanessa Winship, Marc Yankus, Shigeki Yoshida
Le blog de Fabien Ribery 