Carlo Airoldi, coureur de rêve, par Serge Airoldi, écrivain

« Je suis un homme que ronge la douleur. Dos, fessiers, abdomen. Je suis l’oublié d’un siècle, je pénètre comme un vieil éléphant dans le ventre de la nuit. Je suis celui qui a fini de dire son nom. Je suis Carlo Airoldi. »

C’est l’histoire incroyable d’un coureur de fond milanais au physique d’athlète de foire rencontrant la géopolitique.

L’ambition folle d’un Italien ayant décidé de partir en courant en Grèce pour participer aux premiers Jeux olympiques modernes.

Le héros de L’Epreuve se nomme Carlo Airoldi, lointain et improbable ancêtre de son portraitiste, l’écrivain Serge Airoldi, auteur notamment du remarqué Si maintenant j’oublie mon île, essai biographique sur Mike Brant (L’Antilope, 2021).

Il y a du Eric Vuillard ici, dans la façon de faire tomber la grande Histoire sur le pied de la petite, ou de l’observer à partir de son talon blessé, mais surtout du Serge Airoldi, puissance d’imagination, traits informés, goût du verbe envisagé comme un récit en soi, don des couleurs.

Sous-titré l’Impossible marathonien, L’Epreuve se lit allegro vivace, alternant parfois le « il » et le « je » dans un même paragraphe, et swinguant avec la chronologie comme le fait la mémoire, qui est une tectonique des plaques, et des pages.

Carlo Airoldi, c’est un hapax, une légende, une vie minuscule ayant défrayé la chronique de son temps, avant d’être oubliée.

Rejoindre la Grèce, comme autrefois les fils de patriciens poursuivant leurs études d’excellence au pays d’Aristote, imaginez un peu !

Imaginez le cursus honorum du fils de paysan se fichant bien d’être considéré comme l’un des représentants de la puissance italienne nouvelle – battue en Ethiopie -, mais s’étant donné le défi personnel d’être le marathonien le plus rapide du monde.

Mais c’était sans compter sur la nécessité grecque d’imposer à Athènes son propre champion, Spyridon Louis, afin de satisfaire ses visées nationalistes.

Il fallait au berceau hellénique un héros qui lui corresponde, non un va-nu-pieds italien, aussi courageux, endurant, zélé, et ailé soit-il.

Usant du style indirect libre, et quelquefois du monologue intérieur, Serge Airoldi fait entendre, tout en évoquant l’histoire de la Péninsule (ainsi Gabriele D’Annunzio à Fiume) et l’histoire des Jeux olympiques nouveaux, la voix de l’ouvrier italien rêvant de gloire, moins soucieux de lutte des classes – on saura lui rappeler sa place – que d’exploit sportif lui offrant à jamais la reconnaissance de tous.

Carlo aura manqué son rendez-vous avec le destin, comme Buffalo Bill venu à Milan avec le Wild West Show aura refusé de concourir contre lui.

Il faut aujourd’hui l’obstination des biographes, et d’un quasi homonyme, pour se souvenir de l’équipée insensée d’un homme venu de nulle part.

Freud rêvait d’entrer à Rome, Carlito aura rêvé d’être applaudi à Athènes, rien ne se passe comme prévu, ou pas souvent. – fango è il mondo, n’est-ce pas ?

On lira cette phrase comme un autoportrait de l’écrivain : « Airoldi est un jeune homme courageux, énergique qui fait honneur à la société de gymnastique à laquelle il appartient. »

La société de gymnastique ou la gent littéraire, c’est pareil, non ?

On arrête un peu de courir, on se pose, et on lit, avec aise : « De la mer Egée montent des embruns dont il ne connaît pas un goût aussi salé, où se mêlent des fragrances de miel, de myrrhe et d’hélichryse. Quelques crocus ont survécu à l’hiver. Des muscaris aussi, des euphorbes, des clématites, des cyclamens et des colchiques. Dans ces paysages virgiliens, autant de vedute pour les peintres, des âniers surgissent parfois au détour d’un sentier qui émerge d’une oliveraie, des chèvres aussi, en troupeaux que mènent des hommes taciturnes, mutiques, extraits du temps. Hésiode n’aurait pas pu mieux les inventer. »

Serge Airoldi, L’Epreuve, Editions Inculte/Actes Sud, 2023, 190 pages

https://www.actes-sud.fr/

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