Dans le noir, avec les intouchables, par David Siodos, photographe

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©David Siodos

Se présentant en format italien, tel un long ruban d’asphalte bien noir, A l’ombre des vivants, de David Siodos explore le domaine de Pluton.

En ces régions obscures où errent des silhouettes hagardes, l’air se fait rare, qui est vicié, pollué, fétide.

Ces égarés sont des relégués.

©David Siodos

Les logiques biopolitiques trient les corps : il y a ceux qu’on peut pleurer, et tous les autres, les indésirables, les presque-rien, les déchets.

En noir et blanc postatomique, A l’ombre des vivants crie sa rage dans un monde où tout est glas.

Achille Mbembe a conceptualisé le devenir-nègre de l’humanité, nous y sommes : tous les gueux ont la peau noire.

La ville existe encore, mais comme un décor contre lequel se heurtent ou tombent les misérables.

©David Siodos

Un être titubant tenant un sac plastique, le dos voûté, les yeux fous, telle est aujourd’hui l’humaine condition lorsque l’on n’est pas un bourgeois.

En sa matière blessée, altérée, A l’ombre des vivants montre avec puissance sur une double page le visage d’un homme aux traits fatigués, ce pourrait être Dieu le Père.

Il y a dans la composition de cet ouvrage du cinétique, voire du cinématographique, et assurément de l’apocalyptique.

Le noir est parfois total, l’engloutissement est absolu.

©David Siodos

Les colonisés lèvent parfois le bras ou le poing, avant que les dogues féroces des polices de partout ne les déchirent un peu plus encore.

Où es-tu mon frère dans les gaz lacrymogènes ?

Es-tu plus vivant que moi, le désœuvré, toi l’affairé allant au travail ?

La violence est électrique, les pylônes de la société sont des piloris de feu.

Voici le peuple carboné.

Voici la lie des invisibles.

Voici la combustion froide des enfants grandis des derniers prolétaires.

©David Siodos

A quelle étape sommes-nous dans la déchéance ?

Sur quelle corniche infernale nous affrontons-nous ?

L’amour n’est plus, dent pourrie plantée dans le cerveau d’un paria.

En ces territoires où règnent les ténèbres, toute chute est définitive.

Quelqu’un bascule de la fenêtre d’un immeuble sur la gueule d’un type à capuche.

Niepce n’avait pas prévu que son invention permettrait d’établir la cartographie d’un paysage mental désastreux.

©David Siodos

A l’ombre des vivants est le carnet de croquis d’un artiste dont l’œil est une pointe de fusain.

Nous sommes à Toulouse entre 2017 et 2020, mais nous sommes d’abord dans la gueule géante d’un dément crachant des visages comme on expulse des chicots après une rixe.

Une colombe passe, la lumière persiste du côté des tempes enflammées d’un gisant debout, tout ne doit pas aller si mal pour les esseulés, au fond.

En fin d’ouvrage sont reprises les paroles d’André, de Paulo, de Daniel, de Patrick, de David, de Paul, qui vivent dans la rue.

Et les mots de Michel : « Il y a des gens qu’ont pas de chance dans la vie. Moi tout jeune j’ai dit… Moi je savais tout jeune que je finirais comme ça. Et mon père il disait tout jeune tu vas finir clochard, ça a pas loupé, hein ? »

David Siodos, A l’ombre des vivants, conception graphique Simon Vansteenwinckel & Mathieu Van Assche, Editions Le Mulet, 2013, 148 pages – 500 exemplaires

https://davidsiodos.com/fr/galerie-11810-galerie

©David Siodos

https://www.lemulet.com/edition/alombredesvivants/

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Agnel Marie dit :

    David Siodos a travaillé avec des étudiants de l’Université Toulouse Jean-Jaurès, il a été choisi par leur enseignante pour faire leurs portraits, au cours d’un travail sur les micro-agressions linguistiques qu’ils avaient pu subir ou faire subir. Sa familiarité avec des gens en marge lui a permis de mettre chacune et chacun en confiance. Ces portraits ont ensuite été tagués par les étudiants eux-mêmes, sous la houlette du graffeur Reso. Une exposition permet de découvrir ce travail : https://www.univ-tlse2.fr/accueil/recherche/en-bref/exposition-micro-agressions-linguistiques-ces-remarques-qui-jugent-nos-facons-de-parler

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