Missions suédoises au Congo, une histoire d’images, par Anna Ekman & Cecilia Järdemar, artistes visuelles

©Anna Ekman, Cecilia Järdemar

« A leur arrivée, les colonisateurs avaient la Bible et la croix, et nos ancêtres avaient la terre et le fleuve ; à leur départ, les colonisateurs avaient la terre et le fleuve, et nos ancêtres la Bible et la croix. » (Franz Fanon)

Le projet Les Archives Suédoises est basé sur des boîtes de négatifs sur verre provenant des champs de mission suédoise ayant eu lieu entre 1890 et 1930 dans l’État du Congo, appelé le Congo belge à partir de 1908.

Avec le sculpteur congolais Freddy Tsimba, et un groupe d’étudiants de l’Académie Nationale des Beaux-Arts de Kinshasa, les artistes Anna Ekman et Cecilia Järdemar ont exploré les archives et découvert des photographies permettant une série de nouvelles rencontres en République démocratique du Congo et en Suède, installant par exemple dans les collines du Bas-Congo une photographie en noir et blanc prise une centaine d’années plus tôt au même endroit et témoignant du rôle essentiel des porteurs du matériel nécessaire à la mission – lire dans le volume le texte de Darren Newbury.

©Anna Ekman, Cecilia Järdemar

Les dos des indigènes sont fatigués, mais l’expansion coloniale dans toute sa gloire est à ce faible prix, n’est-ce pas ?

A partir des archives retrouvées, montées, exploitées, pensées, le regard occidental sur des peuples infériorisés – voir aussi mon article récent sur le travail de déconstruction du Chilien Sergio Valenzuela Escobedo (livre chez Palais Books) – est aujourd’hui finement analysé.

L’imaginaire photographique missionnaire relève de la domination, du paternalisme, de la prédation déguisée en humanisme.

On construit des écoles, des hôpitaux, des chemins de fer, on modernise.

Oui, mais dans la rue, on veillera à bien s’écarter devant le Blanc, au risque d’être fouetté, chassé, insulté

©Anna Ekman, Cecilia Järdemar

On apporte la grande culture, et l’on détruit des siècles de civilisation en méconnaissant totalement l’histoire des peuples.

Les missionnaires prêtent à la photographie une valeur documentaire-ethnographique, quand elle est souvent la signature de leur aveuglement.

Parvenant à « regarder par-delà la surface coloniale de la photographie » (Darren Newbury), Anna Ekman & Cecilia Järdemar réusissent à redonner aux villageois une image d’eux-mêmes dégagée de la stricte prédation des colons.

Des visages réapparaissent, des groupes d’hommes et femmes, des corps.

©Anna Ekman, Cecilia Järdemar

Des croix et des squelettes, des crânes et des objets de piété.

La brousse, des feux, des dos nus, une rivière superbe.

Beaucoup de larmes, beaucoup de douleurs, et beaucoup de beautés, visibles, à retrouver.

« En plus d’extraire toutes ces photographies de leur état avancé de somnolence dans les archives, adoptant en ceci la licence souvent accordées aux artistes, Anna Ekman & Cecilia Järdemar n’hésitèrent pas à intervenir directement dans les photographies, en fragmentant l’élément spatial de l’image afin de perturber l’autorité du cadrage original. »

Gestes et regards sont soulignés, recadrer c’est repenser, et quelquefois rétablir, réajuster, rendre justice.

©Anna Ekman, Cecilia Järdemar

Livre au graphisme à la fois sobre et puissant, Les Archives suédoises participe d’une pensée interculturelle interpellant les dominateurs sans rendre automatiquement responsables de leurs actes leurs descendants, tout en ouvrant la porte du dialogue et de la fraternité

Lotten Gustafsson Reinius rêve un peu, c’est nécessaire : « Peut-être la photographie fit-elle son apparition du fait d’un espoir utopique dans un monde toujours meilleur, où des souvenirs dûment sélectionnés seraient susceptibles de tisser des toiles de compréhension et de connaissances du monde. »

Anna Ekman & Cecilia Järdemar, Les Archives suédoises, textes (anglais, suédois, français) Darren Newbury, Lye M. Yoka, Lotten Gustafsson, Maria Lantz, Stefan Helgesson, graphisme Matilda Plöjel, Sailor Press (Suède), 2019