
© Actes Sud, 2023 Photographies de Ruth Orkin
© Ruth Orkin Photo Archive
Je découvre l’œuvre de l’Américaine Ruth Orkin (1921- 1985) grâce à son Photo Poche et au texte que lui consacre Anne Morin, livre accompagnant sa première exposition d’ampleur en France à la Fondation Henri Cartier-Bresson.
Ruth Orkin, qui fréquenta enfant par le truchement de sa mère actrice les plateaux de cinéma d’Hollywood, rêvait de devenir cinéaste, photographiant comme on filme, construisant des séquences narratives pleines d’ellipses, pensant ses images comme des photogrammes.

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Il est passionnant d’observer la façon dont se construit son langage visuel, ses recherches formelles – plongées vertigineuses, objets en amorce, volonté d’embrasser les foules -, en noir et blanc ou couleur.
« En filigrane de son œuvre, analyse Anne Morin, restera toujours cette fascination pour le pouvoir heuristique du cinéma, et c’est ce rendez-vous manqué avec sa vocation qui obligera Ruth Orkin à contourner cette entrave et à inventer un langage à la croisée de la photographie et du cinéma. »
Sa série Bicycle trip (1939), traversée des Etats-Unis de Los-Angeles à New York, est en quelque sorte son acte inaugural, mêlant à la fois la question du mouvement, du défilement, et celle du temps, arrêté, repris, déplacé.

© Actes Sud, 2023 Photographies de Ruth Orkin
© Ruth Orkin Photo Archive
Elle photographie le flux des passants de New York à la façon d’une flâneuse très sensible à la façon dont les corps occupent et chorégraphient l’espace : ce sont les personnages d’un film s’inventant, des figurants, des acteurs surpris en pleine répétition.
Avec American Girl in Italy (1951), où la belle Jinx est mise en scène, Ruth Orkin, qui est devenue une photojournaliste de renom, s’essaie avec beaucoup de grâce au roman-photo.
Son regard est souvent tendre, facétieux, sensible à l’absurde et à la drôlerie involontaire de l’existence.

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© Ruth Orkin Photo Archive
« Ruth Orkin, poursuit Anne Morin, a constamment recours à un processus de sérialité et d’intermittence où le temps est modelable, malléable, extensible. Dans ses images, le temps est pluriel. Elle conjugue et décline plusieurs unités temporelles, distinctes les unes des autres. A cet effet, le mécanisme le plus rudimentaire qu’elle utilisera pour simuler le temps consiste à opposer dans l’image deux figures similaires, voire gémellaires, mais suffisamment différentes pour que le spectateur e se prenne pas tout à fait au jeu. »
Mais l’amie de Stanley Kubrick, alors lui aussi photographe (voir chez Taschen l’excellent volume consacré à ses reportages), excelle aussi dans l’art du portrait de personnalités : Vittorio de Sica, Tennessee Williams, Lauren Bacall, Robert Capa, Albert Einstein, Lana Turner, Leonard Bernstein, Orson Welles.

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Orkin regarde les enfants dans la rue, l’expressivité de leurs visages, leur spontanéité dans le jeu, et l’on se rappelle alors du classique du cinéma indépendant américain Little Fugitive, coécrit avec le réalisateur et photographe Morris Engel – une caméra suit les tribulations d’un petit garçon à New York, notamment du côté du parc d’attraction de Coney Island -, film qui inspira tant les cinéastes de la Nouvelle Vague, notamment François Truffaut (Les Quatre Cents Coups) et Jean-Luc Godard (A bout de souflle).

Ruth Orkin, introduction d’Anne Morin, Photo Poche, 2023, 144 pages
https://www.actes-sud.fr/catalogue/photographie/ruth-orkin
Exposition monographique à la Fondation Henri Cartier-Bresson (Paris), du 19 septembre 2023 au 14 janvier 2024