Parmi les vivants, seul, à deux, par Hervé Baudat, photographe

©Hervé Baudat

« Je désire la ville de béton aux nuits blanches et noires. L’amour, la table des amis, les rendez-vous sans fin. » (H.B.)

Les pages sont noires, la lumière s’arrache à la mort, une grand-mère tant aimée vient de franchir le seuil de sa maison corse pour des horizons éternels.

Après Tout doit disparaître et L’œil double, paraît d’Hervé Baudat, toujours aux éditions Bergger, un nouvel ouvrage de haute sensibilité, et de format carré, Dérives et navigations des étoiles.

La boussole d’Hervé Baudat est son boîtier de vision, qu’il garde constamment avec lui, surtout pas par chic, mais parce que sa vie dépend de cet amer de lumière. 

©Hervé Baudat

Je cherche l’or du temps, disait André Breton.

La marche à l’étoile, répond le photographe.

Des étoiles qu’il trouve dans les bars, dans les chambres d’hôtel, partout où l’amour et le désir rayonnent.

Une femme paraît, puis disparaît, puis naît de nouveau à l’instant où le photographe, la tête penchée sur l’écran de visée de son Rolleiflex, lui fait la révérence.

Le noir et blanc va bien aux talons hauts, qu’on entend d’autant mieux claquer sur le parquet ancien qu’ils semblent venir de très loin, de ce jadis qu’a si bien approché Pascal Quignard dans ses traités de méditation.

©Hervé Baudat

Vivre à l’instinct, accueillir le visage et le corps des femmes abordées comme des voyantes, ne pas reculer devant la force de l’instant.   

Il y a beaucoup de beaux solitaires dans Dérives et navigations des étoiles, et des couples.

Ce sont des anonymes croisés dans des arrière-salles ou au hasard des déambulations de l’artiste : ils sont amoureux, s’embrassent, s’enlacent, sourient ou regardent fixement d’un air grave leur portraitiste errant.

Ils sont la jeunesse éternelle, l’envie de vivre, la douceur de la rencontre.

©Hervé Baudat

Quelquefois, les belles d’un soir se dénudent : sensualité immédiate, peau transfigurée, parade.

Hervé Baudat célèbre la singularité de chacun, avec pudeur et mystère.

Des mots viennent quelquefois accompagner les images, qui sont des souvenirs, des petits poëmes en prose, des récits oniriques : « La chambre est pleine de livres et de courriers. Murs délabrés. Les miroirs sont recouverts de lambeaux. Il y a eu une tempête. Une montée des eaux. Meubles éventrés. Le vent fait battre les volets. Quelqu’un frappe à la porte. Une violence. Je ne veux pas ouvrir. Laissez-moi. Non, je n’ai pas rangé mes photographies. Je n’ai pas le temps. Un bruit de vagues monte dans ma tête. De l’eau partout. Une naissance inversée. »

Une femme est là, ridée, noble, protégée par la nuit plutonienne de la page, buvant son café dans une grande tasse.

©Hervé Baudat

« J’ai peur de te trouver morte. Pendant la promenade, tu me dis tes années lointaines. On marche. Dans le printemps, l’hiver ou la canicule. On s’en fout. Tu dis on y va, alors je t’emmène, toujours le même trajet. Tu te mets en colère. Tu es gentille. Tu me dis « U me fidduluccio », souvent. Et tu caresses mon front. Et je pose ma joue contre ton épaule – en cet instant monte un puissant bonheur, une enfance qui revient, son insouciance, son goût de bonbon. Je t’aime. Tu m’aimes. Tout le monde est mort. »

La mort peut être laide, ou très belle, comme cette femme aux yeux clairs qui soulève son voile, offrant au miroir qui la contemple la courbure de sa tendre poitrine.

©Hervé Baudat

Il y a chez Hervé Baudat une interrogation profonde sur l’identité : où s’arrêtent les frontières de mon être ?  Quelle part de l’autre réside en moi ? Quelle part de moi réside en l’autre ?

Son intérêt pour les duos, les doubles, les reflets, est manifeste, jusqu’à ne plus savoir parfois qui il est et ce qu’il regarde, l’appareil de vision formant un dernier rempart contre la dilution égoïque.

Voilà pourquoi il faut des nus, féminins, très sensuels, pour se rappeler l’incarnation, et que la beauté, au sens platonicien, est un témoignage du divin bien.

« J’aspire à des photographies plus crues. Hélas, ma vision esthétisante des choses me rattrape sans cesse. La consommation de substances alchimiques diverses ou la lecture de romans contemporains n’y change rien. Oblomov, c’est moi. Je n’écoute aucunement ce que l’on peut me dire, je désespère le peu d’entourage qu’il me reste. Etats seconds, secondes ébréchées. »

Les corps se dissipent, mais il reste l’esprit, peut-être l’âme, qui brûle encore de l’intérieur les meilleures photographies.

Hervé Baudat a parfois cru disparaître, mais il est bien là, en bas de chez vous dans un rade d’habitués, là-haut dans quelque village corse où tout a fermé, ou à Paris, en plein centre-ville, dans une chambre d’hôtel où ses plus chers désirs sont exaucés.

Dérives et navigations des étoiles donne envie de vivre, d’aimer, d’embrasser, de quitter. C’est beaucoup, non ?

Hervé Baudat, Dérives et navigations des étoiles, conception Olivier Marchesi, Bergger Editions, 2023, 84 pages – 500 exemplaires

https://hervebaudat.com/fr/accueil

https://bergger.com/fr/accueil/105-derives-et-navigations-des-etoiles.html

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