Le droit à la représentation, par The Anonymous Project, et Omar Victor Diop, photographe

© The Anonymous Project / Omar Victor Diop

« Ce personnage que j’interprète, rien ne dit, dans ce qu’on montre, qu’il est américain. Mon père aussi, lorsqu’il était étudiant en France, était souvent le seul Noir à table. » (Omar Victor Diop)

Voici encore un projet enthousiasmant.

On connaît assez bien désormais toute l’entreprise de valorisation des archives de photographies amateurs nommée The Anonymous Project, donnant lieu régulièrement à des expositions et publications, un peu partout dans le monde.

Publié par les éditions Textuel – après Déjà View avec Martin Parr(2021) et The Anonymous Project, The House (2019) -, Being There est le fruit d’une collaboration plus que réjouissante, Lee Shulman, créateur de la collection de diapositives américaines des années 1950 et 1960 ayant proposé à l’autoportraitiste sénégalais Omar Victor Diop d’apparaître dans les photographies qu’il conserve.

© The Anonymous Project / Omar Victor Diop

La présence de Diop vient d’abord créer un décalage avec les représentations convenues, par la classe moyenne blanche, de ses rites (anniversaires, barbecue, fêtes, voyages), avant que d’apparaître comme la plus naturelle du monde.

Le racisme est essentiellement la conséquence d’une construction sociale, d’une peur entretenue, le corps du photographe noir venant dissoudre ce que l’on peut imaginer du contexte ségrégationniste de l’époque et de sa violence.

Diop est là depuis toujours, intégré dans les familles, et tout va bien – voir son œuvre dans le volume Africa 21e siècle (Textuel, 2020).

© The Anonymous Project / Omar Victor Diop

L’humour ridiculise les logiques de servage.

« Le jeu de l’inscrustation, analyse en préface l’historienne de l’art Taous Dahmani, révèle l’isolement de l’autre ; le corps devient l’indice d’une résistance à la conformité et aux régulations politiques et sociales. L’outsider s’impose dans un « dedans » auparavant inaccessible du fait de l’homogénéité du milieu. (…) Il ne faudrait pas se tromper : la légèreté de ton n’empêche pas Being There d’être une féroce critique sociale, une satire sans crainte ni peur. »

Dans les banquets, à la place de la chaise vide qui était celle du photographe avant qu’il ne se lève, il faut désormais imaginer Omar Victor Diop, ou son avatar, et l’ensemble des relégués de l’Histoire.  

« Sur les images, précise le photographe, je ressemble beaucoup à mon père ; cela me rappelle les costumes qu’il portait quand j’étais jeune. Il a toujours été très à la pointe et d’une grande élégance. J’ai vraiment eu l’impression très étrange de devenir mon père ! »

Nécessitant un travail important de postproduction, Being There comporte des défauts, « pour rendre le résultat plus naturel, plus imparfaitement parfait ».

Voici donc Omar, ou son père, prenant un verre de vin rouge en terrasse, au bord de la mer, avec sa petite amie à la jupe plissée.

© The Anonymous Project / Omar Victor Diop

Tout est politique ici, mais aussi jubilatoire.

Omar se baigne près d’une mamie au regard amusé.

Il décortique un homard en toute complicité avec une femme qui est peut-être une affreuse raciste.

L’american way of life sera désormais white and black, ou ne sera pas.

Voitures rutilantes, pique-nique, transats.

Hamburgers, parasols, sodas.

Pose sur une grève avec les enfants, serviette de plage aux côtés d’une minette à la peau hâlée.

Soirée hawaïenne, bières, clopes.

Croisière, paysages grandioses, caméra.

Sur la neige, le personnage joué par le photographe a écrit à la pelle « Love Love ».

Rendez-vous, chers amis, à la prochaine soirée diapo, vous ne serez pas déçus.

Omar Victor Diop & The Anonymous Project, Being There, préface de Taous Dahmani, conversation entre Lee Shulman & Omar Victor Diop, Editions Textuel, 2023, 104 pages

https://www.anonymous-project.com/

https://www.magnin-a.com/artists/89-omar-victor-diop/biography/

https://www.editionstextuel.com/livre/omar_victor_diop__the_anonymous_project_being_there

©The Anonymous Project / Lee Shulman

The Anonymous Project rejoint également les éditions Bessard avec le drolatique et touchant Head Up, livre colligeant des photographies de corps acéphales.

Ces photographies ratées ou déviées – pas déviantes – permettent d’attirer l’attention du spectateur sur le corps des modèles, les mains, les gestes, et la diversité des habits et objets marquant une époque.

Des textes de Vincent Delerm légendent les photographies.

Un homme en costume gris planté devant une belle cylindrée bleue : « Je crois qu’il n’a jamais vécu que pour plaire à sa mère. »

Une femme à couettes devant un gâteau d’anniversaire ayant la forme d’un château fort rose bonbon : « Encore aujourd’hui mes parents font comme si j’avais huit ans. »

©The Anonymous Project / Lee Shulman

Il y a beaucoup de photos de mariage – bonjour Jean-Christian Bourcart.

Le champagne fait tourner la tête, et probablement celle de l’opérateur à l’objectif.

Des animaux, des fleurs, des enfants.

Familles, je vous coupe la tête, et je vous aime.

Répondant aux questions de Sophie Bernard, Lee Shulman se confie : « Ce que j’aime, c’est que les gens s’identifient et ainsi se les réapproprient. il s’agit de notre mémoire collective. Et ce qui est fascinant, c’est qu’on regarde des inconnus. Mais eux aussi nous scrutent. Car dans la photographie amateur, la plupart du temps le modèle fixe l’objectif parce qu’une relation intime le lie au photographe, ce qui n’est pas le cas dans la photo professionnelle. Et ce regard est chargé d’émotion : c’est celui d’un enfant vers son père ou sa mère, d’une femme à son mari, ou inversement. Ce sont des moments de grande intimité. »

The Anonymous Project, Head Up, conversation avec Lee Shulman, propos recueillis par Sophie Bernard, textes de Vincent Delerm, book concept and design Marion Laurens, Bessard Editions, 2022

©The Anonymous Project / Lee Shulman

https://editionsbessard.com/product/heads-up-the-anonymous-project/

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