Celui qui chante n’est pas toujours heureux, par Pierre Bonnard, peintre

Pierre Bonnard (1867-1947), Poisson sur une assiette, 1921, Musée des beaux-arts de Lyon (Don de Jacqueline Delubac en 1995)

« Violet dans les gris. Vermillon dans les ombres orangées, par un jour froid de beau temps. » (Pierre Bonnard, 7 février 1927)

Après un premier volume consacré aux Agendas (1927-1946) de Pierre Bonnard, les éditions L’Atelier Contemporain publient, dans la belle collection de poche Studiolo (catalogue impressionnant), Un sentiment qui tient au mur, ensemble de propos de l’artiste sur la peinture et ses confrères admirés (Odilon Redon, Maurice Denis, Auguste Renoir, Aristide Maillol), volume comportant aussi la reprise de huit entretiens et un extrait de sa correspondance.

Pierre Bonnard n’est pas homme à discourir sans fin.

Ses paroles portées par la modestie, et une vie de travail, sont des formules synthétiques, des éclairs, des points de vue sûrs.

Bonnard peint les couleurs du silence, la joie fragile et la mélancolie, la fugacité de l’instant.

La vie est souvent difficile, il faut parvenir à la peindre avec des gants de boxe.

Ses toiles sont des espaces rendant compte du sentiment d’exister.

« Bonnard, analyse son préfacier Alain Lévêque (lire notamment son Bonnard, la main légère, Verdier, 2006), équilibre l’érotisme par l’évanescence. Il n’éternise pas l’instant, il l’exalte ; il le rend présent tout en donnant à sentir qu’il se défait déjà. Cet instant enfui, Bonnard ne le ressuscite pas, il en prolonge l’écho. Ainsi ranime-t-il en nous la mémoire d’instants passés et le désir d’instants futurs. L’illuminateur du temps vécu devient l’initiateur du temps de vivre. »

En effet, Bonnard, qui attachait ses toiles avec des punaises sur des murs pour ne pas être tributaire du format préétabli d’un cadre, n’est pas un naturaliste, mais un illuministe.

Sa recherche de la lumière est constante, la peinture étant un artifice en quête de vérité.

Dans nos ténèbres présentes, voir Bonnard est salvateur – lire à son propos les textes récents de Yannick Haenel et Jean-François Billeter chroniqués dans L’Intervalle.

Peindre à la fois le temps et l’ouverture du temps.

Voici le fruit de quelques-unes de ses méditations écrites de façon concise : « L’amour sans maîtres et sans maîtresses. Le passé sans événements. » / « Les grandes formes même dans les petits formats. » / « Il faut quelquefois dessiner avec le poignet. (Vallotton) » / « Par hygiène, fuir le motif amusant, pittoresque, convenu. » / « Dans le modèle, Cézanne a remplacé la sauce des Anciens par des variations de couleurs. » / « On parle toujours de la soumission devant la nature. Il y a aussi la soumission devant le tableau. » / « Celui qui chante n’est pas toujours heureux. » / « Le meilleur apprentissage : peintre en bâtiment / lithographe. » / « Se méfier du ton local. » / « L’invraisemblance c’est bien souvent le vrai même. » / « Les musées sont peuplées d’œuvres déracinées. »

Et ceci, qui est d’une sagesse supérieure : « Il ne s’agit pas de peindre la vie, il s’agit de rendre vivante la peinture. »

Renoir lui donna un jour ce conseil : « N’est-ce pas Bonnard, il faut embellir ? »

Embellir n’est pas rendre joli, mais travailler à la gloire de l’instant, jusque dans la sensation de notre défaite.    

Pierre Bonnard, Un sentiment qui tient au mur, préface d’Alain Lévêque, collection Studiolo, éditions L’Atelier Contemporain, 2023, 160 pages

https://www.editionslateliercontemporain.net/mot/pierre-bonnard

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