Là-haut, pas très loin du désert, par Samuel Hoppe, photographe

©Samuel Hoppe

Le saviez-vous ? Selon l’Ecossais franciscain Jean Duns Scot, débattant en cela avec ses frères mendiants dominicains thomistes, assez taquins, il y a autant de quantité d’être dans une roche que dans une pomme, dans une carte IGN que dans une barbe, dans un piolet que dans une goutte de sueur.

Dieu semble parfois plus dense, plus dur, plus coupant – illusion de la matière pour l’âme rieuse -, mais il est partout identique et ne se sépare pas, rayonnement de gloire jusque dans le brouillard déprimant d’un matin glacé de quelque contrefort venteux après une nuit de tourment.

Où est le photographe Samuel Hoppe quand il n’est pas dans ses muscles, dans son regard, dans ses pensées tendues vers l’objectif d’un parcours à accomplir ?

©Samuel Hoppe

Il est probablement là, dans le bruit d’un caillou roulant sous la chaussure, dans le picotement des joues dans l’effort, dans l’espace sans bord et pourtant tout entier contenu par les géants de pierre.

Il est, cristal de neige et surface erratique, dans Nival, qu’éditent les éditions Rue du Bouquet avec une belle radicalité janséniste : un corpus en nuance de gris de plusieurs centaines d’images, imprimées sur papier fin, de ses équipées en montagne, sans légende.

Il y a bien quelques pages blanches pour respirer, mais l’impression est celle d’un bloc fabuleux, entailles féminines, nudité de déserts, danse et contredanse des nuages.

©Samuel Hoppe

Chaque photographie peut être l’objet d’une longue spéculation, de nature scientifique et/ou méditative, la finitude est là, comme la sensation d’aspiration vers les sommets, le col d’après, le néant.

L’ouvrage est à la fois lourd et souple, on peut le feuilleter comme on le ferait d’un magazine expérimental d’architecture allemande des années 1970, et s’y perdre avec la tentation de ne plus en revenir.

On n’est pas mal, là-haut, dans le froid du destin et la chaleur de l’abandon à ce qui nous domine.

On pense aux livres de Spector Books (Leipzig), de Patrick Frey (Zürich), de The Eriskay Connection (Breda), à toutes ces productions de haut niveau ayant l’obsession d’une recherche d’adéquation entre la forme et le fond, ce en quoi excellent les éditions Rue du Bouquet, de plus en plus reconnues par les amateurs comme par les institutions.

©Samuel Hoppe

Voici de la musique sérielle ou atonale, une partition de silence, de grandes orgues jouant du rock bruitiste, choisissez.

Les montagnes parlent en glyphes secrètes et éboulis, en squelettes et fossiles de toutes époques, en fonte de glacier et tensions considérables.

Pourtant, tout est organisé, il n’y a pas de chaos, la fureur est calme.

On repère des lacs d’altitude, des névés, des moraines, toutes sortes de concrétions géologiques et de variétés végétales, mais l’important n’est pas là, qui est d’abord le sentiment d’un illimité, dune grandeur, voire d’un effroi, à la façon dont les romantiques allemands ont pensé le sublime.

Solitude, oubli de l’Histoire, beauté d’absolu, entre terreur et réconfort.

Samuel Hoppe, Nival, book edited and designed by Julien Hourcade, Editions Rue du Bouquet, 2023, 480 pages – 400 copies

https://www.ruedubouquet.fr/product/nival-samuel-hoppe

https://www.samuelhoppe.fr/

Laisser un commentaire