
©Fouad Elkoury
Ecrit à la première personne, documentant trois années libanaises, J’émerge, de Fouad Elkoury, est un journal visuel et textuel où les difficultés d’un pays ne prennent jamais le pas sur sa poésie, certes très profondément blessée.
En octobre 2019, des centaines de milliers de personnes descendent dans les rues de Beyrouth pour réclamer plus de justice et dénoncer l’incurie de la classe politique.
Mais bientôt, ce sera la banqueroute, les faillites, la fuite vertigineuse des capitaux, l’hyperinflation.

©Fouad Elkoury
On tente de fuir, mais au guichet des banques les préposés sont sans ambages : il n’y a plus rien, Madame, Monsieur, votre compte est vide.
Le 4 août 2020, une explosion dans le port de Beyrouth dévaste la ville, faisant des centaines de morts.
Mais quel est ce pays frappé de malédictions semblant ne jamais finir ? Faut-il en désespérer totalement ? Comment ne pas sombrer avec lui ?
La lumière est somptueuse, le Liban est un pays béni, ses secrets de beauté sont innombrables.
Ainsi commence en image J’émerge, par la nature souveraine.

©Fouad Elkoury
« L’électricité, écrit à l’orée de son livre Fouad Elkoury, n’arrive plus qu’au compte-goutte, deux à trois heures par jour, comme si Prométhée avait décidé de ne plus regarder de ce côté de la Méditerranée. C’est alors que je décide de réaménager la maison familiale dans la montagne, à moins d’une heure de la capitale. »
Oui, il faut s’écarter, faire un bond hors du rang des meurtriers, prendre le large quand tout est si serré, étouffant, impossible.
Des chemins de pierres, des cavités, quelques arbres, un ciel bleu ardent, une ambiance de western oriental.
On est bien ici, avant/après les Vertiges (chapitre 1).
Révolution (avortée) – inversion – conversion (de ce qu’il reste, en dollars, mais il n’y a plus de liquidités).
Octobre 2019 : la rue est vivante, les slogans touchent le cœur, le moment est historique.
1er novembre 2019 : les banques sont à sec, comme les oueds du djebel.

©Fouad Elkoury
Corruption est-il le nouveau nom du Liban ?
La montagne, là-bas, n’attend rien de vous, elle poursuit fixement sa route, impériale, solitaire.
Le texte est dramatique, désolant, plein de dépit, les photographies sont silencieuses, calmes, indifférentes au tumulte.
Le peuple a crié sa joie et sa rage, mais maintenant le voilà replié sur lui-même, alors que tout commence à manquer (janvier 2020).
Tiens, on dirait que pointe une pandémie, elle arrive, est installée, tue.
Difficile d’écrire, difficile de photographier, il faut tenir.
Le 13 mars 2020 éclate une tempête sans précédent.
Les arbres se cabrent, tombent, éclatent, le futur est un verre brisé.
On se déconfine, on y croit un peu, puis, à 18 heures, 8 minutes, 18 secondes, le port explose (chapitre 2).
Pleurs, désarroi, colère.
Fouad Elkoury : « Comment retrouver du sens après ça ? »
Le sens, c’est le visage d’une femme, très belle (chapitre 3 donnant son titre au livre).
L’éternel féminin sauve, il vient souvent lorsqu’on ne s’y attend pas, Fouad Elkoury sort du chaos.
« Oui j’émerge, à peine, mais j’émerge enfin. C’est-à-dire que je commence à pouvoir imaginer demain. Parce que même naufragé, il faut continuer. Je prends exemple sur le chien, blessé, qui reste assis dans une plainte, attendant d’aller mieux. Sa profonde solitude fait écho à la mienne. »

Fouad Elkoury, J’émerge, textes de l’auteur en arabe, français, anglais, graphisme et mise en page Karma Tohmé, Editions Intervalles, 2023, 144 pages
https://www.editionsintervalles.com/catalog/jemerge/

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