Des vivants, et mutants, qui passent, par Matthieu Gafsou, photographe

©Matthieu Gafsou

« Nous cherchons dans les images / des manières de rester debout / et nous en trouvons / parfois » (Pierre Ducrozet)

Œuvre ouverte, à la façon dont le sémiologue et romancier Umberto Eco a pu penser ce concept, Vivants, de Matthieu Gafsou, est aussi une œuvre engagée.

La catastrophe – écologique, cybernétique, transhumaniste – est annoncée, est là, mais le temps n’est pas clos, l’impuissance n’étant que l’un des effets de la conscience aliénée.

©Matthieu Gafsou

Avec Vivants, le photographe suisse a conçu un livre d’éveil, entre éco-anxiété et foi dans le présent, dans l’affection et le bruit neuf, dans les luttes, dans l’à-venir, dans notre relation féconde au tout-autre.

Les tirages, parfois passés par un traitement pigmentaire au pétrole brut – azerbaïdjanais – sont à la fois somptueux et contaminés, sublimes et fétides.

Mettant en scène pour la première fois son épouse et ses enfants, Matthieu Gafsou lie ses proches à son travail polysémique d’inquiétude et de clairvoyance.

En ébullition, et désarroi quasi intégral, le monde se fissure, se brise, disparaît.

Les oiseaux souffrent.

Les paysages souffrent.

Les familles souffrent.

©Matthieu Gafsou

Montrant l’invisible par ses images hybrides, le photographe expose des interrelations, blessées ou/et bénéfiques, entre l’ensemble des vivants.  

Que peut l’art alors que la dégradation générale (environnementale, communicationnelle, psychique) s’intensifie ?

L’art peut le tissage et la mise en perspective.

L’art peut l’expression de la colère et de l’empathie.

L’art peut la révolte et la sagesse.

Les tableaux photographiques de l’artiste né en 1981 sont d’autant plus puissants, étranges, troublants, que l’humain est vulnérable, fragile, friable.

©Matthieu Gafsou

Il y a la pollution désolante des substances, mais aussi l’amour pour lequel on se bat, pour les siens, pour les autres, pour la vie.

La main glisse sur le papier glacé – ou plus fin, plus transparent -, les doigts se nourrissent d’images aux teintes crépusculaires, nous sommes, que nous le voulions ou non, des mutants qui passent.

Des manchots sont enfermés dans quelque zoo océanographique, nous sommes encapsulés dans notre mélancolie.

Matthieu Gafsou met le feu au paysage, ou verse dans une cascade des colorants rouges.

Il n’y a plus de pure extériorité, de sanctuaire préservé.

©Matthieu Gafsou

Ma chérie, n’oublie pas ton masque à gaz si tu vas à l’école. Et si tu vois sur le chemin de jeunes manifestants enchaînés à des arbres, souris-leur, ils en ont besoin.

Le photographe montre la violence sans oublier la douceur, les combats sans oublier la merveille et le génie des formes.

Montagnes de déchets.

Réinvention, solidarité, travail du sens.

Les singes grelottent, mais demain, tout à l’heure, il fera si chaud.

Nourri des sciences humaines (Baptiste Morizot, Philippe Descola, Timothy Morton…), Vivants est une œuvre transdisciplinaire à laquelle l’artiste associe aussi la musique hypnotique, enveloppante, méditative de Ripperton (via un QR code) – titres Quiétude, Glacière, Soleil de Minuit, Parasomnie, Fractales

En postface, l’historienne de l’art Victoria Mülhig cite Alain Damasio : « Le vivant est un chant qui nous traverse. »

Un chant qui nous traverse, c’est exactement cela.

Matthieu Gafsou, Vivants, textes Victoria Mühlig et Pierre Ducrozet, édition Nathalie Chapuis, assistée de Camille Cibot, Atelier EXB, 2023, 168 pages

https://exb.fr/en/catalogue/615-vivants.html

©Matthieu Gafsou

http://www.gafsou.ch/

Mathieu Gafsou est représenté par la Galerie C à Neuchâtel et Paris

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