De l’art gitan de la tauromachie, par José Bergamin, écrivain

Tête de taureau, 1942, Pablo Picasso

« Le battement des paumes gitanes consonnait avec la musique silencieuse de son toreo qui s’en fortifiait. »

Paru à Madrid en 1981, La solitude sonore du toreo est le dernier essai, magistral, de José Bergamin (1895-1983).

L’écrivain antifranquiste, situant sa pensée dans la lignée de celle du philosophe basque Miguel de Unanumo, n’écrit pas, précise en préface sa traductrice Florence Delay, pour les spécialistes, mais pour le grand monde.

Il s’agit ici d’une série de courts chapitres, prenant appui sur une observation et une écoute des plus importants toreros, ses amis, métaphysiciens de l’arène s’exprimant par esquives et feintes : Antonio Fuentes, Rafael et José Gallo, Gaona, Juan Belmonte, Cagancho, Antonio Bienvenida, Antonio Ordonez, Pepe Luis Vasquez, Curro Romero, Rafael de Paula.

Tous possèdent un style unique, c’est « un don que chacun apporte au monde ».

Une phrase de Calderon structure l’ensemble de l’ouvrage : « N’est pas musique seulement la voix bien accordée qu’on écoute, est musique tout ce qui fait consonance. »

L’art de toréer possède sa musique propre, le torero chante par ses gestes qui sont aussi pensées.

Le toreo peut atteindre au sublime, on ne peut le dissocier du chant flamenco, nulle autre musique ne devrait être tolérée.

Au sommet de son art, s’il ne l’est pas déjà, le toréro devient Gitan.

José Bergamin souligne, dans ses moments de grâce, sa « quiétude extasiée ».

« Il nous est arrivé de dire, souligne-t-il, que Joselito, le plus souvent, toréait en vers, ou encore que son merveilleux toreo était lyrique, tandis que Belmonte toréait en prose (poème encore) et, par conséquent, était dramatique. »

L’écrivain se souvient des larmes de Rafael el Gallo et du sourire de béatitude de Belmonte, le toreo par ses passes, qui sont des exercices spirituels, provoquant l’ivresse.

L’âme guide le corps, dont il n’est plus que l’instrument.

Le toreo est « la formule baroque de ce qu’il y a de plus vivement et de plus véridiquement espagnol. »

Il faut d’abord chercher à n’être rien, et ne surtout pas mépriser la peur, symbole même de la dignité humaine incarnée par le torero.

« Le torero, écrit ainsi l’auteur de L’art de birlibirloque, son premier essai tauromachique datant de 1930, quelle que soit la peur qu’il éprouve, parce qu’il l’éprouve, n’est pas, ne peut jamais être un lâche. Le spectateur ou les spectateurs individuels qui l’insultent et le blessent sous couvert d’un anonymat irresponsable le sont, des lâches. »

Plus loin : « Dans ce miroir de la vie sociale espagnole que sont les courses de taureaux (nous le voyons aujourd’hui plus que jamais), le peuple, c’est le torero, pas le public, composé de spectateurs aussi ignorants qu’énergumènes. Pour qu’un public dans une arène se change en peuple, il doit s’identifier au torero qui l’est – et même à sa peur – comme il arrive au théâtre entre le spectateur et l’acteur. »

Faudrait-il aller jusqu’à associer la catharsis à la pratique tauromachique ? Bien entendu.

Au cœur de l’art est l’émotion, transmise par le torero à ceux qui le contemplent et vivent avec lui la danse d’un déjà-mort accédant à sa résurrection.

« La bravoure est un présupposé du torero (comme du soldat) et il n’est pas besoin de le démontrer. La bravade étant ce qu’il y a de plus laid au monde et de plus faux dans le toreo. »

L’art tauromachique relève pour Bergamin du sacré, parce que la mort y est centrale, que la victime est mythifiée et que le torero par son habit de lumière se divinise l’instant d’une cérémonie enfiévrée.

« Le philosophe Bergson disait que la précision de la pensée fut inventée par les Grecs. En inventant le toreo, les Andalous inventèrent, ou ajoutèrent à la pensée, une sorte de volupté dans la précision qui est le toreo même. »

Il faudrait maintenant relire Mort dans l’après-midi (1932), d’Ernest Hemingway, livre que me donna il y a quelques années, comme un trésor, dans son appartenant de la rue de Verneuil (Paris), le critique et poète Marcelin Pleynet.   

José Bergamin, La solitude sonore du toreo, traduction Florence Delay, Verdier poche, 2008, 94 pages

https://editions-verdier.fr/auteur/jose-bergamin/

https://www.leslibraires.fr/livre/52081-la-solitude-sonore-du-toreo-jose-bergamin-verdier?affilate=intervalle

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