Magnum, 75 ans de légende, par Philippe Séclier, photographe

©Magnum Photos / Atelier EXB, Paris, 2022

« Il n’y a rien dans ce monde qui n’ait un moment décisif. » (Cardinal de Retz)

Composé de 106 textes, illustrés sur les pages de gardes par un nombre équivalent de photographies de la célèbre agence, Magnum Photos 75 ans est un livre imaginatif, de facture superbe (notamment par la typographie dynamique), et de contenu passionnant.

Le photographe et commissaire d’exposition Philippe Séclier a écrit pour ce volume d’hommage de courts paragraphes révélant ce que les images parfois devenues iconiques ne montrent pas, des anecdotes, des contextes de publication, la fabrique personnelle de chaque photoreporter, l’engagements politique de tel ou tel.   

Le fil chronologique est respecté, l’histoire contemporaine est évoquée par les mots, le lecteur étant invité à deviner d’abord par le verbe des images contenues comme un secret sur les gardes – à déplier, elles sont montrées sous forme de vignettes.

On parcourt ainsi de façon allègre et avec admiration les 75 ans d’une agence fondée par Robert Capa, David « Chim » Seymour, Henri Cartier-Bresson, George Rodger, William et Rita Vandivert, en association avec Maria Eisner.

La coopérative rassemble aujourd’hui plus de cent photographes, c’est une légende.

Pour écrire ses textes, Philippe Séclier a travaillé avec les archives de l’agence, et probablement les souvenirs des principaux témoins.

Les volumes consacrés à Magnum ne manquent pas, mais celui-ci, par son refus de la grandiloquence, offre un panorama sans pesanteur d’une geste collective unique au monde.  

On peut lire cet ouvrage dans la continuité, ou piocher çà et là, sans retenue.

©Magnum Photos / Atelier EXB, Paris, 2022

On croyait notre bibliothèque assez bien fournie, mais l’on s’aperçoit qu’elle s’avère très incomplète.

Comment a-t-on pu manquer The Mennonites, de Larry Towell (1994) ?

Et Rich ans Poor, de Jim Goldberg (1985), travail mené avec des habitants de San Francisco photographiés chez eux et à qui le reporter a demandé de commenter, par l’insertion d’une écriture manuscrite sur les clichés, la photographie qui les représente ?

Et Télex persan, livre hors du commun de Gilles Peress publié en 1984 témoignant du bouleversement historique de l’Iran en son moment révolutionnaire ?

Et Postcards from America, de Susan Meiselas (2012), relatant un périple de trois mille kilomètres aux Etats-Unis en camping-car ?

Et Say Goodbye Before You Leave, d’Enrj Canaj (2021), « livre-manifeste sur la douleur et la dignité » des réfugiés ?

En 1963, René Burri photographie Che Guevara, qui n’est pas encore un tee-shirt.

En 1959, Marilyn Silverstone documente la fuite du dalaï-lama en Inde : « La 10 mars, écrit Philippe Séclier, Lhassa, capitale du Tibet, a été envahie par les troupes chinoises. Plus de 80 000 morts. Basés alors à New Dehli, en reportage pour Life, elle est la seule femme photojournaliste à suivre « sa sainteté » dans son exil en Inde, où il est rejoint bientôt par 200 000 réfugiés tibétains. Dix-huit ans plus tard, Marilyn Silverstone décide de se convertir au bouddhisme tibétain et est ordonnée nonne. Elle participera à la création du monastère de Schechen à Katmandou, au Népal, où elle vivra jusqu’à la fin de ses jours. »

Le 25 mai 1954 Robert Capa meurt, dans le conflit en Indochine. Quelques jours plus tôt, dans les Andes péruviennes, Werner Bischof, trente-huit ans, décédait dans un accident de voiture. 

Le 10 novembre ­1956 David « Chim » Seymour, quarante-quatre ans, est tué par un soldat égyptien alors qu’il couvrait la crise de Suez.

©Magnum Photos / Atelier EXB, Paris, 2022

A propos de Henri Cartier-Bresson : « Sa rétrospective dite « posthume » – on le croyait mort pendant la Seconde Guerre mondiale – au MoMA en 1947, avait déjà frappé les esprits. Mais c’est avec son livre Images à la sauvette qu’Henri Cartier-Bresson prend une nouvelle dimension en 1952. Publié en France par Tériade, sa couverture est signée Henri Matisse. En introduction, Cartier-Bresson cite une phrase du cardinal de Retz : « Il n’y a rien dans ce monde qui n’ait un moment décisif », inspirant le titre de la version américaine, The Decisive Moment. Cette traduction lance ainsi le concept photographique de l’instant décisif, qui fera désormais référence. Même si, pour parler de son propre travail, Henri Cartier-Bresson préféra ensuite citer une autre phrase, qu’il créa lui-même : « l’imaginaire d’après nature. » »

Le 3 décembre 1984, Raghu Rai arrive à Bhopal, où il reviendra en 2002 (livre Exposure : Portrait of a Corporate Crime).

En 1968, Josef Koudelka, « photographe inconnu », documente le Printemps de Prague, ses images feront le tour du monde.  

Depuis le 24 février 2022, la guerre en Ukraine mobilise les membres de l’agence.

William Keo, Jérôme Sessini, Chien-Chi Chang, Paolo Pellegrin, Emin Özmen, Rafal Milach, Alex Majoli et Nanna Heitmann sont partis ou vont partir, alors qu’Antoine d’Agata en revient.

Vous ne les connaissez peut-être pas tous, mais leur travail de témoignage est essentiel.

Magnum Photos 75 ans, texte Philippe Séclier, édition Jordan Alvès, couverture François Dézafit, Atelier EXB, 2022, 104 pages

©Philippe Séclier / Atelier EXB, Paris, 2022

https://exb.fr/fr/home/540-magnum-photos-75.html

Le graphisme de cet ouvrage s’inspire du livre Magnum Photos, 60 ans dessiné par Xavier Barral et paru en 2006

Laisser un commentaire