
Paul Cézanne, La Montagne Sainte-Victoire et le château noir, 1904, huile sur toile, 65 x 81 cm, Bridgestone Museum of Art, Ishibashi Foundation, Tokyo
« La vie est un phénomène harmonique, une constante rupture d’équilibre, qui engendre un constant appétit d’équilibre. C’est le moyen d’expression de la matière. La raison d’expression de la matière, c’est d’exprimer l’univers. L’univers n’est que le vivant. »
Il y a chez Jean Giono une pensée de l’organicité de l’univers, de l’interdépendance des êtres et des actions, qui enchante à l’heure de l’anthropocène.
Mais il y a davantage encore qu’une écosophie, dont témoigne admirablement la nouvelle L’Homme qui plantait des arbres (1953), il y a le mythe, les timbales du cosmos, l’énigme profonde de chaque présence.
Lorsque tout est en désordre et que la vilénie l’emporte, les dieux de la nature viennent nous redresser – lire Prélude de Pan (in Solitude de la pitié, 1932) -, nous châtier, et tenter de nous rétablir en dignité.
La publication par Les éditions du Chemin de fer, dans un très bel ouvrage illustré de dessins de Paul Mignard, d’un texte issu du recueil Le Poids du ciel (1938), Traversée sensuelle de l’astronomie, nous offre la chance de mieux comprendre encore le système métaphysique gionesque.
Il faut prendre de l’altitude, considérer la Terre depuis cinquante kilomètres, dix mille kilomètres, cent mille kilomètres de hauteur, depuis ces infinis où la nuit est éternelle.
Il y a en chaque chose un tempo, entrant en résonnance avec d’autres tempos, la passion de l’un est la passion de tous, il n’y a pas de séparation.
« Rien dans l’univers ne peut être autre chose que l’univers ; c’est la polyphonie qui va s’élancer de la base chantante de la nuit. »
Des halos, des notes, des accords, des vibrations parallèles et communes.
Tout pèse, et tout est si léger.
Le lyrisme de Giono n’est pas sentimentalité expressive, mais jouissance de langue à l’unisson du Tout.
« Les lois de la matière qui permettent le gonflement de nos poumons et le battement de notre cœur sont sujettes de l’harmonie générale. La plus lointaine sensibilité de l’atome nous émeut instantanément ; la progression de cet émoi à travers les distances infinies nous découvre brusquement la vraie vitesse limite de l’univers. Elle ne peut être saisie par aucune de nos machines, ni matérielles, ni spéculatives ; elle est immédiatement présente partout. »
En quelque sorte, tout est magnétique.
L’énergétique d’un mot, d’une phrase, d’un paragraphe, entraîne l’ensemble du livre, et de la bibliothèque, et des êtres environnants, et de la ville, et du pays, et du monde.
Le temps de notre mémoire est insignifiant, mais il n’est pas rien, puisque nous sommes aussi traversés par l’immémorial.
Il y a partout drame, et partout félicité.
« Le verbe créer [ou le verbe détruire] n’a ni passé ni futur dans l’univers : il est essentiellement présent. Le soleil se brise en planètes, les planètes se brisent en lunes, les lunes se brisent en anneaux de poussière. Les variations de la matière créent inlassablement dans le présent. Il n’y a ni premier ni septième jour, il y a l’instant précis de la création et c’est le temps spatial ; c’est la création cosmique tout entière, au sein de laquelle nous occupons si peu d’espace et si peu de temps qu’il nous y est permis d’exprimer l’univers en des labours infinis, le long d’une très lente et très savoureuse vie. »
N’est-ce pas merveilleux ?
Allons dans la nuit, observons le mouvement des astres et celui de notre cœur, écoutons-le battre aussi dans la poitrine de l’aimé(e).
« Là, à mesure que les espaces s’ouvrent, mon cœur s’abandonne. Là, à mesure que les espaces s’ouvrent, mon cœur s’abandonne d’entendre bourdonner dans mon corps la dilatation de semblables espaces. Il faudra que je m’habitue à vivre sans barrières au bord du gouffre qui me ressemble. »
Les richesses sont là, innombrables, sous nos pieds, dans l’air, en-dedans et au-dehors de nous.
« Le calcul des joies ruisselle entre les doigts de cette animalité solidaire de la liquéfaction des granits. »

Jean Giono, Traversée sensuelle de l’astronomie, avec des dessins de Paul Mignard, Les éditions du Chemin de fer, 2022, 64 pages
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