Lettres aux surréalistes, par Pierre Drieu la Rochelle, écrivain

« Le surréalisme, c’était la révélation, ce n’était pas la révolution. »

Trois lettres aux surréalistes, du grand Pierre Drieu la Rochelle, est un volume passionnant, très bien édité et présenté par Bertrand Lacarelle.

On place quelquefois l’auteur du Feu follet (portait sublime de l’ami Jacques Rigaut) du côté des idéologues, mais, à bien lire ses arguments, le rapprochement du groupe d’André Breton avec le parti communiste fut une façon lamentable de ne pas croire suffisamment aux pouvoirs de la littérature.

Le ton des lettres rédigées en 1925 et 1927 est d’une grande sincérité, il est très touchant, à la fois blessé, offensif et amical.

Drieu est un idéaliste souffrant de solitude, et refusant de s’associer – sa revue polémique Les Derniers jours ne comptait que deux rédacteurs, Emmanuel Berl et lui – pour des raisons médiocrement psychologiques.

Son amitié avec Louis Aragon produira les deux romans Gilles et Aurélien, les aventures sont liées.

Entre 1919 et 1921, Drieu la Rochelle participe comme membre de la rédaction à la revue Littérature, influencée par le Manifeste Dada de 1918.

Drieu méprise la civilisation de la machine, l’esprit bourgeois – il admire Bernanos – et les petits calculs, en quête d’une liberté intérieure heurtée par sa difficulté à se livrer, la troisième de ses lettres étant une réflexion, quasiment un essai, sur l’amitié et la solitude.

La littérature doit-elle se placer à la remorque du politique ? Sûrement pas, elle est action, en-avant, refus de la tricherie, sauvegarde de la langue.

Drieu est déçu que ses amis du groupe surréaliste déplacent la priorité de l’acte poétique sur l’action poétique.

Il y a de l’Ernst Jünger chez lui, une hauteur de vue marquée par une conscience aiguë de la décadence occidentale.

Lui qui fustigeait l’allégeance au politique rejoindra en 1936, le désespoir étant mauvais conseiller, le Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot, qu’il quittera juste avant la défaite française.

« C’est un homme moralement détruit, sans doute, précise Bertrand Lacarelle en préface, qui brûle ses vaisseaux en prenant le parti de la collaboration, qui sombre dans l’antisémitisme, lui dont la plupart de ses amis, dont la première femme, même étaient juifs. Les photographies de ces années-là montrent un homme légèrement bouffi, fatigué, non plus boudeur mais qui semble écœuré. Par lui-même. Par la rage et l’impuissance [il se suicidera le 15 mars 1945]. » 

Drieu, c’est le feu, la rage, la pureté de l’engagement dans l’écriture.

Lettre 1 publiée en août 1925 dans La Nouvelle Revue française : « Oui, j’espérais vraiment que vous étiez mieux que des littérateurs, des hommes pour qui écrire est une action, et toute action la recherche du salut. (…) Il faut que nous réapprenions à jouir largement de notre esprit, de notre cœur, de notre cœur. Toutes ces belles disciplines de la joie se sont bien perdues dans les derniers siècles. Ne nous en privons pas plus longtemps. Vous ne me direz pas le contraire, vous, hommes ardents et exigeants, vous qui, les premiers en Europe, avez voulu rompre une des chaînes les plus rouillées, celle de la littérature, ce résidu durci des plus nobles exercices humains ! »

Lettre 2 (Les Derniers Jours, 15 février 1927) : « On croit qu’il n’y a guère d’action dans la pensée. Or, si l’on croit cela, c’est qu’on n’a guère pensé, qu’on ne s’est jamais vraiment donné avec tout son cœur à la pensée. »

Lettre 3 (Les Derniers Jours, 8 juillet 1927) : « Dieu aime plus l’originalité intempestive que le conformisme héréditaire. Artiste, il veut que chaque forme soit nouvelle et différente des autres. Il me veut autre que mes parents et mes proches. (…) L’amitié qui est à l’origine de l’Action française et dont le rayonnement humain m’a touché, je m’en éloigne sans y avoir aucunement participé. Elle s’efface à mes yeux, embrouillée dans les nœuds rudes d’un parti et d’ailleurs estompée par l’âge. Au contraire, dans tout ce qu’ont fait depuis huit ans André Breton et ses amis, je vois une réalité qui me touche et qui sollicite toute ma réflexion : ces hommes-là ont fait une amitié. Et moi, comment ai-je pu rester en dehors ? (…) Non, laissez-moi rêver de l’amitié, c’est tout ce que je puis faire. »

Et ceci, qui me semble déchirant d’honnêteté : « Vous êtes une troupe de poètes : vous êtes nés, vous avez grandi dans un monde enchanté qui m’est fermé. Vous jouissez tous d’une promptitude d’intuition, d’une jeunesse de trait qui m’est refusée, prosateur intermittent, saccadé. Il me faut des années pour seulement pressentir la moelle des choses. Comment pouvais-je me risquer parmi vous, torches flambantes, moi qui abritais frileusement sous mon manteau un charbon toujours prêt d’expirer ? »

On lira dans les Annexes des documents exceptionnels, notamment une hilarante et féroce Lettre ouverte à M. Paul Claudel, ambassadeur de France au Japon, signée en juillet 1925 par l’ensemble du groupe surréaliste, que le grantécrivain avait jugé pédérastique.

« Nous souhaitons de toutes nos forces que les révolutions, les guerres et les insurrections coloniales viennent anéantir cette civilisation occidentale dont vous défendez jusqu’en Orient la vermine et nous appelons cette destruction comme l’état des choses le moins inacceptable pour l’esprit. Il ne saurait y avoir pour nous ni équilibre ni grand art. Voici déjà longtemps que l’idée de Beauté s’est rassise. Il ne reste debout qu’une idée morale, à savoir par exemple qu’on ne peut être à la fois ambassadeur de France et poète. (…) Ecrivez, priez, bavez ; nous réclamons le déshonneur de vous avoir traité une fois pour toutes de cuistre et de canaille. »

Pierre Drieu la Rochelle, Trois lettres aux surréalistes, édition présentée par Bertrand Lacarelle, Gallimard, 2024, 156 pages

https://www.gallimard.fr/Contributeurs/Pierre-Drieu-la-Rochelle

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