De profundis, la revue comme philocalie

© Juliette Vallejo

Revue de pensée, d’écriture et d’art, De profundis est aussi un espace de réflexion théologique d’obédience chrétienne (orthodoxe/catholique).

On y lit dès les premières pages les propos de frère Jean-Christophe de Nadaï, rédigé à Saint-Etienne-du-Mont, église dédiée le 25 février 1626 par Jean-François de Gondi, premier archevêque de Paris, oncle du cardinal de Retz.

On y trouve notamment les sépultures de Pascal et de Racine.

S’interrogeant avec l’auteur des Pensées sur les reliques comme repos du Saint-Esprit, l’ecclésiastique affirme l’annonce de la résurrection dans la présence squelettique des saints, pleinement manifestée dans la sainte Epine ayant touché le corps glorieux.

Mathilde Alric quant à elle réfléchit sur les différentes valeurs de la notion de crainte de Dieu, telle que la rappelle aux fidèles le prêtre dans la liturgie de saint Jean Chrysostome, mentionnant par exemple les Psaumes (25 :14) : « L’amitié de l’Eternel est pour ceux qui le craignent, Et son alliance leur donne instruction. »

Par la crainte – vertige de l’incommensurabilité – nous faisons alliance avec le Tout-Autre (saint Augustin).

© Juliette Vallejo

On peut lire ceci, qui est superbe : « Dieu nous a créés libres, libres de faire le mal et de saccager sa création. Il s’est incarné, livré à notre brutalité, et de la conscience de ce terrible pouvoir conféré à notre infime petitese naît une véritable terreur dans le cœur de qui aime Dieu : la conscience de pouvoir blesser le Démiurge, le Maître de Tout. C’est en réalité non pas Dieu mais notre relation à lui que nous blessons ; pourtant, le sentiment, la conscience de la faute est la même. »

Mais aussi ces mots très profonds : « Si l’on considère quelques principes de mystique juive, le vertige d’aspirations croisées entre Dieu et l’homme pourrait constituer le centre de notre situation à Lui : la rétractation première de Dieu, le tsimtsoum, la « faille de Dieu » en quelque sorte, engendre la création, elle appelle l’homme à sa liberté à être. Par sa liberté, l’homme se blesse, crée en lui la faille de la chute qui a son tour appelle Dieu à s’incarner, donc à se rétracter encore en se dépouillant des attributs de sa divinité dans la kénose. »

Mais se souvient-on de Sept dernières paroles du Christ en croix ?

Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. 

En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis.

Femme, voici ton fils.

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

J’ai soif.

Tout est accompli.

Père, entre tes mains je remets mon esprit.

Ces paroles, rappelle Juliette Vallejo, Joseph Haydn les a mises en musique, et René Girard peut-être entendues depuis le Palais des Papes d’Avignon, où fut honorée la mémoire du philosophe, mort le 4 novembre 2015 à Stanford, le lendemain du dépôt de ses cendres dans le caveau familial.

© Juliette Vallejo

« L’un des actes fondamentaux de Girard, précise la fondatrice de De profundis dans un texte de fine exégèse – lire le penseur en sa capacité de faveur -, était peut-être de chercher la douleur là où elle était masquée par le texte. (…) René Girard, c’est le Précurseur au désert qui crie qu’il nous faut ouvrir les oreilles ; c’est l’Ange de Dieu, portier du Purgatoire, qui vient tracer sept « P » sur nos fronts du bout de son épée, ou plus justement nous révéler que nous les portons déjà, à notre insu. Lire Girard, c’est reconnaître que nous portons tous cette marque, que nous sommes tous frappés du même sceau mimétique : ses livres sont autant de signes qui nous font soupçonner ce que nous ignorions et que nous ne voulions pas savoir ; le lire bien, c’est porter la main à notre front, chercher ce signe, le trouver. Là, notre cœur se serre affreusement. »

Aller vers l’unité, rompre le cercle des rivalités mimétiques, faire de l’acte de parole un remède à la division.

Mais la révélation par l’amour, qui en est capable ?

Une citation de l’évangile apocryphe dit de Philippe n’est pas ici sans évoquer le dernier livre de Philippe Sollers (La deuxième vie, Gallimard, 2024 – chroniqué dans L’Intervalle) : « Ceux qui disent qu’ils mourront d’abord, puis qu’ils ressusciteront, se trompent. S’ils ne reçoivent pas d’abord la résurrection de leur vivant et s’ils meurent, ils ne recevront rien. »  

Maintenant, méditons sur le vertige, entre chute et ascension, à partir de la reproduction d’une gravure de Lou-Salomé Houdart, avant que de partir avec Julien Battesti, auteur d’un poème plein d’esprit, sur Mars.

« Autrefois, il y avait des fleuves sur Mars, / c’est-à-dire des métaphores du temps. / Et c’est du temps qu’on veut trouver / quand on y croit y chercher de l’eau. / Encore un petit siècle (ou deux). / Tout semble s’agencer si bien. / A cette lumière froide qui règne dans l’espace, / déjà nos yeux s’accoutument, / grâce aux ampoules « basse consommation » / de l’éclairage public. / Pas un village qui ne soit dès maintenant plongé / dans la mélancolie interstellaire. / C’est une lumière si triste / que j’ai souvent envie, le soir, d’aller me réfugier / dans une de ces cavernes où les premiers hommes / peignaient des vaches orange, / des chevaux et des cerfs / qui ne sont quand je zoome / que de grands à-plats d’ocre. »

© Juliette Vallejo

Et l’on termine avec bonheur la lecture de cette revue étonnante – sa tenue provient de sa foi (en Dieu, en la littérature) – par une suite quasi cinématographique, de mélancolie déchirante, du poète-écrivain Ivan Alechine (Les effets de la dissimulation, chez Fata Morgana ; Trébuchet, chez Galilée) intitulée Jamais plus Vivre sa vie.

Comment vivre encore un peu dans un film de Jean-Luc Godard ? Comment être encore Nouvelle Vague ?

Nous lisons le tombeau d’un cinéaste en ses images enfuies et le leitmotiv du « Jamais plus ».

Anna Karina est le visage de notre passé, comme ceux d’Anne Wiazemsky, de Marina Vlady et de Myriam Roussel.  

« Jamais plus, Jean Ferrat, jeune et charmant, timide, au fond d’un café. Banquette de skaï à dos droit. Tables rectangulaires en formica, le café populaire, un air de banlieue à Paris en attendant une solution pour gagner sa vie. Jeune ouvrière, rien à faire. Les dieux sont mortels. »

« Jamais plus, l’orgueil, de profil contre le jour, à contre-jour devant la fenêtre. La vieille fenêtre. Jamais plus le rouge et l’or pour souligner le ciel et ses fumées, les lettres dessinées au néon. »

Jamais plus, mais pour longtemps peut-être le chant d’une revue comme une prière appelée par les orthodoxes philocalie.

Revue De Profundis, contributions de Ivan Alechine, Mathilde Alric, Julien Battesti, Lou-Salomé Houdart, frère J.-Ch. de Nadaï, Juliette Vallejo, n°1, 2024, 56 pages

https://www.deprofundis.lu/

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